Le 16 juillet dernier, le président de la République française commémore le 75e anniversaire de la rafle du Vel d’Hiv. Pour la première fois, il a invité le premier ministre israélien. Après avoir démontré la responsabilité du régime de Vichy dans la déportation des juifs, il conclut : « Nous ne céderons rien à l’antisionisme, car il est la forme réinventée de l’antisémitisme. » Étrange amalgame, puisqu’il confond, dans une même réprobation, un délit : le racisme antijuif, et une opinion qui conteste la nécessité d’un État pour tous les juifs.
La naissance du sionisme
L’antijudaïsme, puis l’antisémitisme traversent l’histoire de l’Europe bien plus que celle du monde arabe. Ils s’y sont traduits, des siècles durant, par des discriminations, des expulsions et des massacres — ainsi lors des Croisades, mais aussi, au XIXe siècle, avec les pogromes de l’empire tsariste. À l’époque, des intellectuels en déduisent que les juifs, inassimilables, doivent disposer de leur État. Theodor Herzl, témoin à Paris de l’affaire Dreyfus, écrit L’État des Juifs (1896), puis réunit le premier Congrès sioniste mondial (1897). « Le sionisme, précise son programme, s’efforce d’obtenir pour le peuple juif en Palestine un foyer reconnu publiquement et garanti juridiquement. »
Après le génocide nazi
Jusqu’à la seconde guerre mondiale, malgré le soutien de Londres, les héritiers de Herzl ne rencontrent guère d’écho parmi les juifs : communistes, bundistes, libéraux et orthodoxes s’opposent à leur projet. Et l’immense majorité des juifs quittant la Russie se rendent aux États-Unis. En 1939, la Palestine sous mandat britannique ne compte que 450 000 juifs, soit 2,5 % de la population juive mondiale.
Le génocide nazi bouleverse tout. Six millions de juifs ont été exterminés et des centaines de milliers de survivants ne peuvent pas retourner chez eux. Or, Washington leur refuse tout visa. Bon nombre émigrent alors vers la Palestine, puis vers Israël, d’où la guerre de 1947-1949 a chassé 800 000 Arabes.
Des juifs antisémites ?
Soixante-dix ans et plusieurs vagues d’immigrations plus tard, Israël compte 6,5 millions de juifs et, avec les territoires occupés, le même nombre de Palestiniens. C’est dire que la majorité des juifs vit encore ailleurs. De surcroît, en Occident, leur assimilation s’accompagne d’une majorité de mariages avec des non-juifs. Et des centaines de milliers d’Israéliens ne vivent plus en Israël. Même parmi les juifs français qui, ces dernières années, ont effectué leur alya, une forte proportion repart.
Faut-il considérer tous ces juifs qui, de génération en génération, ont résisté aux sirènes du sionisme comme des antisémites ? Ou bien, tout simplement, comme des citoyens ayant préféré poursuivre leur vie dans leur patrie de longue date ou d’adoption ? Historiquement, la petite phrase du président de la République est donc absurde. Politiquement, elle représente un grave danger.
L’antisionisme comme délit d’opinion
La manœuvre des dirigeants israéliens et de leurs inconditionnels soutiens français est cousue de fil blanc : comme ils se savent isolés, ils tentent de criminaliser toute critique.
Premier objectif de l’opération : la condamnation de la campagne Boycott-Désinvestissement-Sanction (BDS), que la Cour européenne des droits de l’homme peut néanmoins encore modifier. D’où un second objectif, auquel le propos d’Emmanuel Macron risque d’ouvrir la voie : l’interdiction de l’antisionisme. En novembre dernier, Francis Kalifat, le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), demandait au premier ministre que la « définition, qui prend en compte l’antisionisme comme forme nouvelle de l’antisémitisme, soit transposée dans l’arsenal législatif français ». Si ce projet prenait corps, le Conseil constitutionnel le bloquerait sans doute en route. Sinon, ce serait la première fois, depuis la guerre d’Algérie, que la France réinstaurerait le délit d’opinion. Emmanuel Macron acceptera-t-il d’être instrumentalisé par une offensive liberticide ?
Dominique Vidal
Visuel : © Hélène Aldeguer, 2018.
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