Plateforme des ONG Françaises pour la Palestine

Les pressions exercées pour avancer l’examen de la proposition de résolution n°1952

8 juillet 2019 - Courrier au président de la République

Paris, le 2 juillet 2019

Monsieur le Président de la République,

Nous avons pris connaissance de la lettre que le président du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France) Francis Kalifat vous a adressée le 19 juin 2019 (1) ainsi que la lettre des députés Claude Goasguen, Meyer Habib et François Pupponi datée du le 12 juin 2019 (2) et dont vous avez reçu copie. Ces communications cherchent à faire avancer l’examen de la proposition de résolution n°1952 visant à lutter contre l’antisémitisme déposée à l’initiative du député Sylvain Maillard, lequel a participé le 28 mai 2019, avec Claude Goasguen et Meyer Habib, à une réunion avec le Président du Conseil régional de « Samarie », organisation de colons israéliens. Une démarche totalement contraire à la position de la France et de l’Union européenne.

Ces ingérences dans le calendrier parlementaire posent des questions en termes de fonctionnement des institutions. Si, en vertu de l’article 48 de la Constitution, le Gouvernement peut fixer des textes à l’ordre du jour ou modifier un ordre du jour de l’Assemblée nationale, cela concerne seulement les projets ou propositions de lois « qu’il estime primordiales ». En aucun cas le Gouvernement ne peut décider d’avancer l’examen d’une proposition de résolution, pas plus que le président de la République.

Par ailleurs, ces courriers posent à nouveau la question de l’instrumentalisation de la lutte contre l’antisémitisme. Ils sont révélateurs d’une stratégie globale des soutiens du gouvernement d’extrême-droite israélien visant à réduire au silence les voix critiques des politiques d’occupation et de colonisation israéliennes en les accusant d’antisémitisme.

En effet, depuis plusieurs années une campagne internationale est en cours pour que ladite « définition de travail de l’antisémitisme de l’IHRA » devienne une définition de référence de l’antisémitisme et soit adoptée par le plus d’institutions possibles. La définition a elle-même été conçue avec l’aide de lobbies américains favorables à la colonisation et l’annexion qui ont tenté de la faire adopter par plusieurs organisations, sans succès. C’est finalement l’IHRA (Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste) qui l’a adoptée. Dans un rapport soumis au Rapporteur spécial sur la liberté de religion, l’organisation proche du gouvernement israélien NGO Monitor recommande explicitement l’adoption de la « définition de l’IHRA ». Les dessous de cette organisation et de ses objectifs ont été mis à jour dans le rapport du Policy Working Group « NGO Monitor : Shrinking space, diffamation des organisations des droits de l’homme critiques de l’occupation israélienne », ce qui révèle bien les objectifs réels de la « définition de l’IHRA ».

Sur l’histoire et la manipulation de la définition dite « de l’IHRA », nous vous recommandons la lecture des annexes suivantes jointes à ce courrier :
  La « définition IHRA » de l’antisémitisme : amalgame et manipulations, Association France Palestine Solidarité
  Redéfinir l’antisémitisme pour faire taire les défenseurs des droits des Palestiniens, Plateforme des ONG françaises pour la Palestine

Comme nous vous l’avons déjà exprimé à plusieurs reprises (3), nous nous opposons à l’instrumentalisation de la notion d’antisémitisme qui s’est traduite par l’amalgame antisionisme/antisémitisme puis par l’adoption de ladite « définition de travail de l’antisémitisme de l’IHRA ». La Commission nationale consultative sur les droits de l’Homme (CNCDH) a rappelé, dans son rapport sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie paru en avril 2019, qu’elle n’est pas favorable à la transposition de la définition, invoquant notamment une incompatibilité avec le droit constitutionnel français et dénonçant «  l’amalgame entre le racisme et la critique légitime d’un Etat et de sa politique  » (4). Plusieurs juristes ont averti des risques pour la liberté d’expression d’adopter la définition avec ses exemples et 40 organisations juives ont publié un appel demandant aux gouvernements de ne pas l’adopter, son but étant de « faire l’amalgame entre la critique légitime de l’Etat d’Israël ou la défense des droits des Palestiniens et l’antisémitisme, et ainsi supprimer ces derniers  ». En France, de nombreuses organisations, dont la Ligue des droits de l’Homme, et des personnalités de la société civile s’y sont opposées notamment à cause des risques qu’elle implique en termes de respect de la liberté d’expression. Vous trouverez leurs déclarations jointes à ce courrier.

Nous avons pris connaissance de la publication d’un article sur la « définition IHRA » sur le site Internet du Gouvernement (5), et avons constaté qu’elle fait référence aux « exemples » associés, non endossés par l’IHRA elle-même et en contradiction avec la position prise par l’ambassadeur de France auprès de l’Union européenne (6), sur vos instructions, le 19 décembre 2018. Nous contestons aussi « l’endossement de fait » qui conclut cet article : nous n’avons jamais eu connaissance et encore moins confirmation de ce type d’interprétation. Malgré quelques nuances apportées dans l’article, les tentatives de poser des garde-fous pour protéger la liberté d’expression n’offrent aucune garantie sérieuse. La définition et ses exemples n’en demeurent pas moins dangereux pour la liberté d’expression. Dans plusieurs pays où elle a été adoptée, des dizaines d’atteintes graves à la liberté d’expression ont été recensées sur le seul fondement de cette définition qui n’est pourtant pas contraignante juridiquement. Il a pu s’agir d’annulations d’événements, de refus de salles, mais également d’interdictions pour des étudiants de participer à des événements culturels complètement déconnectés de la question palestinienne, ou encore d’injonctions d’adhérer à la « définition IHRA » pour des professeurs afin de pouvoir enseigner ou participer à des conférences.

Nous vous demandons, Monsieur le Président, de ne pas répondre aux sollicitations des individus et institutions qui souhaiteraient avancer l’examen de la résolution n°1952, de ne pas poursuivre l’application de ladite « définition de travail de l’IHRA » et de vous abstenir de l’adopter formellement.

Encore une fois, Monsieur le Président, nous ne pouvons que vous recommander la lecture du rapport 2018 sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie de la CNCDH (une référence nationale et indépendante sur ces questions), qui propose un ensemble de mesures pour lutter efficacement contre l’antisémitisme et que nous estimons nécessaires dans le contexte actuel.

En vous remerciant de l’attention que vous porterez à ce courrier, veuillez agréer, Monsieur le Président, l’assurance de notre profonde considération.

François Leroux, Président de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine

Annexes  :

(1) http://www.crif.org/fr/actualites/c...
(2) https://claudegoasguen.fr/2019/06/1...
(3) Courriers de la Plateforme Palestine au Président de la République du 28 février 2018 et du 19 février 2019.
(4) CNCDH, Rapport sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, page 25.
(5) https://www.gouvernement.fr/qu-est-...
(6) https://www.france-palestine.org/Fa...

Lire la réponse du chef de cabinet du Président

Lire également la lettre envoyée au Premier ministre


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