Paris, le 19 février 2018
Monsieur le Président,
Nous nous félicitons de votre déclaration de ce jour, précisant que vous ne pensez pas que pénaliser l’antisionisme soit une bonne solution. Toutefois nous nous inquiétons de ce que le groupe d’études « antisémitisme » de l’Assemblée nationale souhaite proposer très prochainement : une résolution ou une proposition de loi pour reconnaître l’antisionisme comme délit, au même titre que l’antisémitisme. Une demande similaire avait également été exprimée par le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif).
Si la lutte contre l’antisémitisme est indispensable, une telle mesure relève pour nos associations de l’amalgame et constitue une grave atteinte à la liberté d’expression.
Elle dessert la lutte contre l’antisémitisme et nous ne pouvons que recommander la lecture du rapport 2017 sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie de la CNCDH (une référence nationale et indépendante sur ces questions), qui propose un ensemble de mesures pour lutter efficacement contre l’antisémitisme.
L’antisémitisme, qui est la haine et le rejet des Juifs, est une forme de racisme et un délit que nous condamnons sans ambiguïté.
L’antisionisme est une opinion politique qui, dans la majorité des cas, consiste à s’opposer à la politique continue de colonisation et d’annexion du Territoire palestinien par l’État d’Israël et non à l’existence de ce dernier. Dans d’autres cas, c’est l’expression d’un débat où s’opposent des conceptions différentes, y compris parmi des intellectuel·le·s ou militant·e·s juifs et non juifs. Enfin, s’il existe des cas d’instrumentalisation de l’antisionisme à des fins racistes, nous les condamnons fermement de même que nous condamnons l’instrumentalisation de l’antisémitisme.
En tout état de cause, l’arsenal juridique français suffit pour lutter contre les groupes et les discours antisémites : une nouvelle loi, de surcroit effectuant ces amalgames, serait contre-productive car laissant à penser qu’une catégorie de la population a besoin de lois spécifique contre un racisme qui la concerne.
Nous nous opposons à l’instrumentalisation de la notion d’antisémitisme pour réduire au silence les critiques à l’égard de la politique israélienne qui s’est traduite par l’adoption de la dite « définition de travail de l’antisémitisme de l’IHRA ». Adoptée par plusieurs Etats européens sous la pression de groupes d’influence pro-gouvernement israélien, elle assimile la critique de l’Etat d’Israël à l’antisémitisme. Le Conseil européen et le Parlement européen ont également invité les Etats membres de l’UE à l’adopter. Censée être non-contraignante juridiquement, elle a pourtant des effets concrets sur le terrain puisqu’elle a servi de fondement pour interdire plusieurs événements liés à la solidarité avec le peuple palestinien en Allemagne ou au Royaume-Uni. De nombreuses organisations de la société civile, y compris 40 organisations juives, considèrent que c’est un danger pour la liberté d’expression. La Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) a explicitement recommandé de ne pas adopter la définition.
Nous vous avions exprimé, Monsieur le Président, nos inquiétudes après votre discours du Vel d’Hiv de juillet 2017 qui assimilait l’antisionisme à l’antisémitisme. Depuis cette date, vous n’aviez plus repris cet amalgame. Nous saluons cette ligne qui est en accord avec la position de la France de ne pas adopter la dite « définition de l’antisémitisme de l’IHRA », dont nous attendons une confirmation officielle.
Par soucis de cohérence - et tout en condamnant fortement l’antisémitisme -, nous vous demandons, Monsieur le Président, de ne pas soutenir l’initiative du groupe d’études « antisémitisme » de l’Assemblée nationale.
Nos associations seront extrêmement vigilantes quant à la position que vous tiendrez sur la proposition des parlementaires, notamment à l’occasion du discours que vous prononcerez au dîner du Crif le 20 février 2019.
En espérant que ce courrier retienne votre attention, veuillez agréer, Monsieur le Président, l’assurance de notre profonde considération.
François Leroux, Président de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine
Lire la réponse du cabinet du Président : page 1 et page 2
Voir également une réponse du Ministre des Affaires étrangères
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