« Le 9 décembre 2017 à 8h du matin, j’allais chez mon grand-père dans le camp de Aida quand j’ai vu une jeep plein de soldats. L’un des soldats m’a crié dessus, me demandant si j’étais en train de jeter des pierres […] Il m’a poussé au sol, s’est assis sur moi et a commencé à me frapper […] pendant 15 minutes ». Lire la suite du témoignage de E.A., 16 ans, ici.
Chaque année, 500 à 700 mineurs palestiniens de Cisjordanie et Jérusalem-Est passent dans les prisons militaires israéliennes, la plupart sont des garçons entre 12 et 17 ans. Mais des jeunes filles et des mineurs de moins de 12 ans sont également arrêtés.
En mars 2018, 356 mineurs étaient ainsi emprisonnés. Ces chiffres ne reflètent cependant pas la situation globale des mineurs palestiniens et les persécutions récurrentes à leur encontre. Ils peuvent en effet être détenus et interrogés pendant quelques heures ou quelques jours, puis relâchés. De ce fait, de nombreuses arrestations ne sont pas documentées.
La majorité sont accusés d’avoir jeté des pierres. Mais c’est un prétexte pour cibler les enfants, une politique généralisée ayant comme objectif de compromettre l’avenir de la société palestinienne. L’armée israélienne souhaite briser toute résistance palestinienne et tout espoir futur pour ces générations qui sont nées sous occupation.
Les mineurs subissent un long parcours vers un centre d’interrogatoire avec de longues pauses et des détours délibérés. La plupart du temps, les interrogatoires ont lieu au centre d’Al-Moscobiyeh (près de Jérusalem), dans celui de Jalame (près de Haifa) ou encore dans un poste de police d’une colonie.
Les audiences ont lieu dans le tribunal militaire pour mineurs d’Ofer, près de Ramallah. Pourquoi un tribunal militaire ? La Cisjordanie étant sous occupation militaire israélienne, c’est l’administration militaire qui gère tout ce qui a lieu en territoire palestinien occupé. Quant à la qualification de « tribunal pour mineur », elle n’est qu’une façade puisque le tribunal ressemble en tout point à celui pour adultes.
Les enfants de Jérusalem-Est, partie de la ville annexée illégalement par Israël, sont officiellement soumis à la loi civile israélienne et donc à des tribunaux civils, mais dans les faits ils subissent les mêmes violations de leurs droits fondamentaux que les enfants de Cisjordanie.
L’incarcération a lieu, pour la plupart des cas, à Ofer, mais aussi à Meggido et Hasharon (toutes deux situées en territoire israélien).
De l’arrestation au jugement, les mineurs subissent des mauvais traitements et voient leurs droits fondamentaux bafoués. L’UNICEF qualifie les mauvais traitements subis par les enfants prisonniers de « répandus, systématiques et institutionnalisés ».
Cela débute lors de l’arrestation qui survient souvent en pleine nuit au domicile du mineur (dans 40% des cas), après une intrusion violente par de nombreux soldats.
Pendant les heures de transfert vers les centres d’interrogatoire, les enfants ont les yeux bandés (dans 80% des cas) et les mains attachées, ils sont violentés, menacés, humiliés. Parfois, ils peuvent être immobilisés de force pendant des heures, sous la pluie, dans le froid ou sous le soleil, sans eau, nourriture ni accès aux toilettes.
Les mauvais traitements se poursuivent ainsi pendant l’interrogatoire qui peut durer des jours, voire des semaines. Gifles, coups de pieds, insultes, menaces de torture, d’agression sexuelle, de condamnations sont monnaie courante. Le plus souvent, ils ne peuvent rencontrer ni leurs parents ni un avocat (c’est le cas de 97% des mineurs détenus). Plus d’un dixième des mineurs arrêtés sont maintenus à l’isolement pendant une durée moyenne de treize jours.
Malgré les recommandations de l’ONU (1), les tortures et mauvais traitements continuent d’être exercés en toute impunité. La plupart des mineurs refusent de porter plainte, parce qu’ils craignent des mesures de rétorsion ou parce qu’ils estiment qu’ils n’ont aucune chance d’obtenir justice. Le plus souvent, les plaintes sont effectivement classées sans suite.
Sous la pression, la plupart des accusés acceptent de plaider coupable et de négocier un accord avec le procureur car c’est le « meilleur » moyen de sortir de prison au plus tôt. Sinon, ils risquent une détention prolongée du fait d’un procès interminable ou une condamnation à une plus lourde peine sur la base d’aveux forcés. C’est le cas pour 99% des jeunes condamnés, qui font en majorité font l’objet d’une peine d’emprisonnement ferme allant le plus souvent de trois mois à un an, accompagnée d’une lourde amende.
Cela a été le cas d’Ahed Tamimi, la jeune fille de Nabi Saleh, arrêtée à 16 ans en décembre 2017 pour avoir giflé un soldat israélien qui patrouillait devant sa maison. Elle a été contrainte d’accepter de plaider coupable pour 4 des accusations présentées à son encontre (sur 12) et condamnée à 8 mois de prison ferme. Les membres de sa famille subissent un acharnement particulier des autorités israéliennes du fait de leur résistance non-violente. Ahed est aujourd’hui une icône de la résistance palestinienne.
Les autorités israéliennes pratiquent également la détention administrative sur les mineurs palestiniens. Elle permet de détenir une personne pour une période de six mois, renouvelable indéfiniment, sans inculpation ni procès, le plus souvent sur la base d’informations « secrètes » auxquelles ni son avocat ni elle n’a accès, en violation du droit international. Les dernières statistiques sur la question recensaient, en avril 2016, 13 mineurs en détention administrative.
• Les articles 37 et 40 de la Convention internationale des Droits de l’Enfant de 1989 sur le traitement des enfants en cas de détention et les garanties dont ils doivent bénéficier (droit de visite, droit à une assistance juridique, à un procès équitable, détention comme mesure de dernier ressort aussi brève que possible, protection contre les mauvais traitements etc.)
• La Quatrième Convention de Genève qui interdit le transfert et la détention d’une personne civile hors du territoire occupé (articles 49 et 76).
• Le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques qui défend le droit à un procès équitable (article 14), interdit la détention arbitraire et exige que tout individu soit traduit dans le plus court délai devant un juge (article 9).
• La Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (article 1) : le traitement des enfants détenus palestiniens est clairement discriminatoire par rapport aux enfants détenus juifs israéliens vivant en Cisjordanie, dont Jérusalem-Est, ou en Israël.
Outre les possibles traumatismes physiques dus à des mauvais traitements, la détention entraîne chez les mineurs un traumatisme psychologique important. Ils souffrent d’isolement, d’un sentiment d’insécurité permanent, de troubles de stress post traumatique et finissent trop souvent par se déscolariser.
La société palestinienne dans son ensemble est déstructurée par le sort que les autorités israéliennes réservent à ses enfants. La recrudescence des arrestations et détentions de mineurs rend chaque jour plus improbable la reprise d’un dialogue entre Israéliens et Palestiniens.
A consulter pour aller + loin :
B’Tselem, Minors in jeopardy – violation of the rights of Palestinian minors by Israel’s military courts et Unprotected – detention of Palestinian teenagers in East Jerusalem, mars 2018 (traduit en français ici).
Defense for Children International Palestine, No Way to Treat a Child, avril 2016.
Plateforme Palestine, Enfances brisées : les mineurs palestiniens dans le viseur de la répression israélienne, mai 2016.
Les chiffres-clés 2018 sur les prisonniers palestiniens.
– Proposez une question écrite à vos élus pour interpeller le gouvernement français sur les enfants palestiniens détenus. Voir la marche à suivre ici
– Diffusez des outils interactifs pour sensibiliser le grand public :
> une infographie sur les mineurs emprisonnés.
> une infographie sur le parcours des mineurs de l’arrestation à leur jugement et les violences auxquelles ils font face.
> des vidéos-témoignages d’enfants palestiniens passés par les prisons israéliennes.
(1) Voir les Observations finales concernant le cinquième rapport périodique d’Israël du Comité contre la Torture des Nations unies, 3 juin 2016 ; les Observations finales concernant le quatrième rapport périodique d’Israël du Comité des droits de l’homme, 21 novembre 2014 ; les Observations finales du deuxième au quatrième rapports d’Israël du Comité des droits de l’Enfant, 4 juillet 2013 ; la résolution A/HRC/37/L.47 du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies du 20 mars 2018.
crédit photo : Claire Thomas
Campagne en cours