C’est sous un soleil de plomb, à quelques centaines de mètres du bord de mer, que s’est ouvert mercredi 6 septembre le Festival DLD de Tel Aviv. Cette grand-messe israélienne de l’innovation numérique, qui rassemble près de dix mille participants sur deux jours, est devenue un passage obligé pour les startups, les géants du Net, les grands groupes et les investisseurs, mais aussi pour les politiques français. Emmanuel Macron y avait fait une visite remarquée en 2015. Celui qui était alors ministre de l’économie avait insisté sur la nécessité de renforcer les échanges économiques entre la France et Israël. « Nous avons quinze ans de retard et nous devons rattraper la situation au plus vite », avait-il plaidé.
Cette fois, Bruno Le Maire a fait le déplacement et le message est inchangé. « Les investissements israéliens en France représentent 160 millions d’euros par an. C’est peanuts ! », estime le ministre de l’économie en anglais devant un parterre de la délégation Orange, qui dispose d’un large stand au cœur de l’événement. « Le premier ministre Netanyahou veut doubler les investissements israéliens en France d’ici à l’année prochaine et évidemment j’invite toutes les compagnies françaises dans tous les secteurs à faire de même et à investir davantage en Israël », encourage-t-il. La France est seulement le cinquième partenaire économique d’Israël en Europe, loin derrière l’Allemagne ou encore le Royaume-Uni.
Quand on l’interroge sur les raisons de ce retard, Bruno Le Maire invoque un « cadre fiscal qui n’était pas le bon pour les investissements étrangers en France, pas suffisamment attractif ». En bon VRP du gouvernement Macron, le ministre vante les réformes. « Sous la direction d’Emmanuel Macron, la France change. Ce n’est pas pour demain, c’est maintenant », poursuit-il face aux représentants d’Orange. « Nous avons amorcé une refonte totale de notre modèle social avec la modification du marché du travail, explique-t-il. Nous avons résolu le problème. » « Le but d’Emmanuel Macron est de baisser le niveau des taxes », ajoute-t-il, pour avoir « plus de compagnies compétitives, être capable de développer des innovations et créer des emplois ».
Cela n’explique pas pourquoi la France a si peu investi en Israël. Selon Dan Catarivas, directeur général des relations internationales du patronat israélien, ce retard résulte d’une « méconnaissance du marché israélien ». « En regardant la superficie du pays, sa population de 8 millions d’habitants, moins que le Portugal, certaines entreprises françaises se sont dit que cela ne valait pas le coup d’investir en Israël. » Même analyse pour Édouard Cukierman, PDG de Catalyst Funds, qui invoque une « différence de culture ». « Contrairement à d’autres pays européens, comme l’Allemagne, qui ont compris le potentiel du marché israélien et l’ont envisagé comme une plateforme technologique forte en innovations, la France a longtemps privilégié une approche capitalistique, avec l’implantation d’un certain nombre d’entreprises comme Air France, le Club Med ou des marques de luxe. »
À cela s’ajoute enfin un facteur politique : la France a sans doute longtemps été frileuse dans ses échanges économiques avec Israël pour ne pas se mettre à dos ses amis palestiniens et arabes. Mais aujourd’hui, la donne a changé. La division du monde arabe et le rapprochement d’Israël avec les pays du Golfe et l’Arabie saoudite (une entreprise israélienne assure par exemple la sécurité de Dubaï) ont décomplexé les investisseurs français.
Dans les allées du DLD, on croise de grandes entreprises françaises comme Renault. Le géant de l’automobile entend surfer sur les performances des Israéliens dans le domaine de la voiture autonome. Depuis 2008, l’entreprise française a multiplié les partenariats économiques avec l’État hébreu. Elle a même investi cette année dans un nouvel incubateur de startups. Le géant de la grande distribution, Carrefour, a également sa délégation. « On vient pour regarder ce qui se fait dans les big data et dans la cybersécurité surtout, on est très impressionné par tout ce qu’il y a », confie un représentant du département innovation du groupe. Les innovations concernant les big data et la cybersécurité sont aussi prisées par des groupes comme la BNP ou Orange.
Le secrétaire d’État au numérique, Mounir Mahjoubi, a également fait le déplacement. « On a déjà des fonds d’investissement communs entre la France et Israël, la question aujourd’hui est de savoir comment on accélère ces dispositifs », explique-t-il. Comme Bruno Le Maire, le secrétaire d’État est aussi là pour vendre les réformes du gouvernement français, notamment sur le plan de la fiscalité. « Cela va être plus facile pour une startup israélienne de s’installer en France », promet-il.
Deux grandes villes françaises, Marseille et Toulouse, ont également envoyé des délégations. C’est la première fois que la cité phocéenne dispose d’un stand dans ce festival israélien. « L’idée, c’est de promouvoir nos startups, les aider à développer des affaires avec Israël, et nos filières d’excellence, la santé, le tourisme, l’art de vivre. Israël, la startup nation, c’est un peu notre modèle », souligne une représentante de la délégation marseillaise.
Le pouvoir d’attraction du DLD offre une démonstration criante de la faiblesse de l’impact de la campagne Boycott Désinvestissement Sanctions sur l’économie israélienne. « Le BDS n’a presque aucune influence sur le terrain. Les pressions ne fonctionnent pas », estime Dan Catarivas. « Sur ce festival, on n’a pas du tout hésité. Nos politiques sont là, les adjoints au maire à l’économie et au numérique nous accompagnent », confirme-t-on au stand de la ville de Marseille.
La position de la France « est très claire », rappelle Bruno Le Maire. « Le boycott ne fait pas partie de notre politique, je condamne donc toute forme de boycott contre quelque État que ce soit et je m’y opposerai comme ministre de l’économie car je pense que ce n’est pas une bonne façon de régler les différends commerciaux qui peuvent exister entre deux nations », estime-t-il. Interrogé sur l’étiquetage des produits des colonies israéliennes par l’Union européenne, le ministre affirme avoir eu « des échanges approfondis » avec Benjamin Netanyahou et son homologue israélien. « Étiqueter les produits, ça laisse toute liberté aux consommateurs de les acheter ou de ne pas les acheter. Ce n’est pas un boycott » , assure-t-il.
Cette nouvelle politique économique de la France vis-à-vis d’Israël va-t-elle amoindrir sa capacité à critiquer le gouvernement Netanyahou sur le plan politique ? Comment faire pression sur un allié économique si choyé pour qu’il retourne à la table des négociations avec les Palestiniens ? « Je ne pense pas que cela soit contradictoire. On le voit aujourd’hui avec la Turquie par exemple, les pays de l’Union européenne peuvent émettre des critiques sur le plan politique, et parfaitement continuer à entretenir des relations économiques avec le pays », objecte Dan Catarivas.
Bruno Le Maire se défend en citant les investissements de la France dans les Territoires palestiniens. « Nous avons vocation à renforcer les liens économiques entre la France et Israël (...). Cela ne nous interdit pas, au contraire, de poursuivre la même politique vis-à-vis des Territoires palestiniens », dit le ministre, qui a profité de son voyage dans la région pour se rendre à Ramallah, où il a pu rencontrer le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas et son homologue palestinien. La France a promis de maintenir l’année prochaine l’aide bilatérale aux Palestiniens (le montant de cette aide s’élevait en 2015 à près de 40 millions d’euros, dont 16 millions d’euros en aides directes).
La veille de l’ouverture du DLD, Mounir Mahjoubi s’était également rendu dans les Territoires palestiniens, notamment pour visiter l’incubateur palestinien Leaders, situé à Ramallah. Pour lui, le tissage de liens entre les startups israéliennes et palestiniennes pourrait avoir une influence positive sur le plan politique. À Tel Aviv, à Ramallah, à Jérusalem, « on ne parle que d’alliance numérique », raconte le secrétaire d’État. « Cela crée des liens très forts, des liens humains qui participeront ensuite à un processus plus global et plus complexe (...), ça ne peut qu’être bénéfique pour tout le reste de l’agenda », veut-il croire.
Sur le conflit israélo-palestinien, Bruno Le Maire a refusé tout commentaire : c’est à Emmanuel Macron, et « à lui seul que revient le droit de s’exprimer sur le processus de paix ». Le président français, qui a appelé cet été à la « reprise des négociations » et confirmé son attachement à « une solution à deux États », est attendu dans la région au printemps 2018. Hasard du calendrier, le ministre français de la défense Jean-Yves Le Drian recevait mardi soir à Paris son homologue palestinien, Riyad al-Malki. Il a réitéré l’opposition de la France à la colonisation israélienne et condamné l’expulsion le jour même d’une famille palestinienne résidant dans le quartier de Cheikh Jarrah, à Jérusalem-Est.
Visuel : Bruno Le Maire, ministre de l’Economie
Campagne en cours