Selon les critiques, si elle est menée à bien, cette mesure pourrait donner à Israël ou à d’autres gouvernements un prétexte pour interdire ou restreindre le travail des groupes de défense des droits humains.
Washington - Cinq assistants du Congrès américain et un fonctionnaire du Département d’État ont déclaré à NBC News que l’administration Trump considère une proposition de loi pour qualifier d’ « antisémites » d’éminentes organisations de défense des droits de l’homme et pour décourager les gouvernements de soutenir leur travail.
Soutenue par le secrétaire d’État Mike Pompeo, la déclaration proposée viserait Human Rights Watch, Amnesty International, Oxfam et peut-être d’autres groupes de défense des droits qui ont critiqué le gouvernement israélien pour sa politique envers les Palestiniens, selon ces sources.
D’après elles, la possibilité d’une telle décision a semé l’inquiétude parmi les fonctionnaires du Département d’Etat et les juristes des deux camps au Congrès. Les organisations de défense des droits, qui partagent souvent leurs recherches avec des diplomates et des officiers militaires américains, ont déclaré qu’elles étaient prises de court par cette proposition et que celle-ci pourrait être utilisée par des gouvernements étrangers comme prétexte pour interdire ou restreindre leur travail à l’étranger.
Selon d’anciens responsables, cette décision pourrait susciter des contestations judiciaires devant les tribunaux et amener les responsables gouvernementaux à hésiter à avoir des contacts avec des groupes de défense des droits humains. Cette proposition a d’abord été rapportée par Politico.
Le Département d’État n’a pas répondu à une demande de commentaires.
L’Anti-Defamation League, une organisation qui cherche à lutter contre l’antisémitisme et le sectarisme, a déclaré que ce serait une erreur de mener la proposition à bien.
« Nous nous opposons à l’application générale de l’étiquette d’antisémitisme à ces organisations de défense des droits de l’Homme ; cela n’est ni exact ni utile à la lutte contre l’antisémitisme », a déclaré un porte-parole de l’ADL. « Au contraire, cette mesure politiserait la lutte contre l’antisémitisme. »
Au fil des ans, l’Anti-Defamation League a eu de vifs désaccords avec les organisations de défense des droits de l’homme au sujet d’Israel, a déclaré son porte-parole, mais il a ajouté, « Suggérer que ces groupes sont, d’une façon ou d’une autre, anti-juifs par nature est complètement faux. Il serait à courte vue et contre-productif que le Département d’État les mette sur liste noire de cette façon. »
Si elle était menée à terme, l’action serait fondée sur une recommandation du bureau de l’envoyé spécial pour la surveillance et la lutte contre l’antisémitisme, Elan Carr. Elle dépeindrait les groupes de défense des droits de l’homme comme antisémites et conseillerait aux gouvernements étrangers de ne pas financer les organisations, selon les sources. Mais les détails de la proposition restent en débat interne.
D’après deux assistants démocrates du Congrès, certains avocats du ministère ont exprimé de sérieuses préoccupations concernant la légalité et les implications d’une telle décision, y compris de savoir si elle viole les droits des organisations de droits de l’Homme garantis par le Premier amendement.
S’il était approuvé, le texte ferait référence au travail des groupes de défense des droits de l’Homme en rapport avec le mouvement Boycott, Désinvestissement, Sanctions, qui a encouragé le boycott des produits israéliens à cause de la construction par Israël de colonies sur des terres que les Palestiniens réclament pour un futur État.
Selon une source bien informée, des projets de documents à l’appui de cette décision éventuelle citent des exemples de partialité présumée des trois organisations de défense des droits, en faisant référence à des rapports publiés par ces groupes et à leurs critiques des colonies israéliennes et du traitement des Palestiniens. Selon la même source, beaucoup de ces exemples semblent être sortis presque mot pour mot du site web de NGO Monitor, une organisation de droite en Israel qui critique souvent les groupes nationaux et internationaux de défense des droits de l’Homme.
Selon cette source, l’un des exemples inclut des commentaires du maire de Francfort, qui accuse Amnesty International de « promouvoir le nettoyage ethnique ».
Les trois groupes de défense des droits de l’Homme qui pourraient être mis sur la liste noire affirment qu’ils ne soutiennent pas le mouvement BDS.
« C’est choquant, déroutant, offensant, troublant. Je suis presque sans voix », a déclaré Andrea Prasow de Human Rights Watch à propos de cette proposition. « Ce genre de dénigrement est profondément troublant et ce n’est pas le genre de chose que nous attendrions du gouvernement des États-Unis. »
Human Rights Watch, avec d’autres groupes de défense des droits humains, entretient des relations établies de longue date avec le Département d’État, le Pentagone et d’autres agences gouvernementales, et informe parfois les ambassadeurs avant qu’ils ne commencent à occuper de nouveaux postes. Bien que Human Rights Watch critique régulièrement les États-Unis, le groupe travaille également en étroite coopération avec les administrations des deux partis sur certaines questions, fournissant des rapports détaillés sur les violations des droits, qui façonnent la politique américaine, a déclaré M. Prasow.
Bob Goodfellow, directeur exécutif par intérim d’Amnesty International USA, a qualifié cette proposition de dernière tentative de l’administration Trump visant à saper les organisations internationales de défense des droits humains.
Dans un communiqué, M. Goodfellow a déclaré : « L’administration répand de la désinformation et travaille à saper ceux qui travaillent à protéger les droits de l’Homme ».
« Amnesty International USA est profondément engagé dans la lutte contre l’antisémitisme et toutes les formes de haine dans le monde, et continuera de protéger les gens partout où la justice, la liberté, la vérité et la dignité sont déniées. Nous contestons vigoureusement toute allégation d’antisémitisme. »
Goodfellow a ajouté que le mouvement moderne des droits de l’Homme est né des conséquences de l’Holocauste, lorsque les pays se sont réunis pour s’assurer que de telles atrocités ne se reproduiraient plus jamais.
Oxfam a déclaré qu’elle avait une longue histoire de travail pour protéger les droits et la vie des Israéliens et des Palestiniens et a promis de poursuivre son travail.
« Toute insinuation selon laquelle Oxfam soutient l’antisémitisme est fausse, sans fondement et offensante », a déclaré Noah Gottschalk, responsable de la politique internationale d’Oxfam Amérique. « Oxfam ne soutient pas BDS et n’appelle pas au boycott d’Israël ou de tout autre pays. Oxfam et nos partenaires israéliens et palestiniens travaillent sur le terrain depuis des décennies pour promouvoir les droits de l’homme et fournir un soutien vital aux communautés israélienne et palestinienne. »
Ce n’est pas la première fois que l’administration Trump critique les principaux groupes de défense des droits humains.
Il y a deux ans, Nikki Haley, alors l’ambassadrice américaine aux Nations Unies, a accusé Human Rights Watch et Amnesty International de se ranger du côté de la Russie et de la Chine pour rejeter son projet de réforme du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Par la suite, Haley a exclu les deux groupes lors de séances d’information privées sur les politiques.
Les défenseurs des droits de l’homme ont déclaré que cette proposition fait partie d’un plan plus large desgtiné à saper ou à ignorer les préoccupations relatives aux droits de l’homme, y compris l’imposition de sanctions aux hauts responsables de la Cour pénale internationale tout en évitant des sanctions sévères contre Riyad après l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi au consulat saoudien à Istanbul.
Robert Bank, le dirigeant de l’American Jewish World Service, a qualifié le projet d’« épouvantable » et T’ruah, une organisation rabbinique de défense des droits humains, a déclaré qu’il était « ridicule » de présenter les groupes de défense des droits humains comme « antisémites ».
Rabbi Jill Jacobs, directeur exécutif de T’ruah, a déclaré « Israël est un État lié par le droit international des droits de l’homme, comme tous les autres membres des Nations Unies, et comme d’autres pays il peut être critiqué lorsqu’il ne respecte pas ces engagements ».
L’ambassade d’Israël à Washington n’a pas répondu à une demande de commentaire.
Traduit de l’anglais original par R.P. pour l’AFPS
Visuel : Benjamin Netanyahu and Donald Trump at the Ben Gurion airport
Crédit IMFA
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