Le soutien inconditionnel de la Maison blanche à Nétanyahou divise la communauté juive, que Trump a accusée de « ne pas assez aimer Israël ».
Seul un quart des Juifs américains ont voté Trump en 2016, une proportion qui risque fort de retrouver dans le scrutin présidentiel du mois prochain. Le locataire de la Maison blanche a exprimé sa frustration face à cette tendance dans son appel téléphonique du 16 septembre aux leaders de la communauté juive. Cet appel, censé saluer l’arrivée du Nouvel an juif (Rosh Hashana), a tourné à la diatribe électoraliste. Trump a martelé que « si nous ne gagnons pas » le 3 novembre, « Israël est en grand danger ». Il a incité les responsables juifs à « expliquer à vos gens ce qui se passe » et à « obtenir plus de soutien du peuple juif pour Israël ». Il a mis en avant son gendre Jared Kushner, lui-même juif orthodoxe, comme un « leader pour Israël », concluant son appel par un déroutant « nous aimons votre pays », comme si le « pays » des Juifs américains était Israël, et non les Etats-Unis.
Ce n’est pas la première fois que le président Trump met en cause la loyauté de ses compatriotes juifs. Devant la Coalition des Juifs républicains, en avril 2019 à Las Vegas, il a ainsi évoqué « votre Premier ministre » pour désigner Benyamin Nétanyahou, le chef du gouvernement israélien. Huit mois plus tard, devant l’Israeli-American Council (IAC) à Miami, il parle de lui-même à la troisième personne pour déclarer : « l’Etat juif n’a jamais eu de meilleur ami à la Maison blanche que votre président, Donald J. Trump ». L’IAC, rassemblement de bi-nationaux israélo-américains, a été transformé en relais aux Etats-Unis de la droite dure en Israël par le milliardaire Sheldon Adelson, principal soutien financier de Trump. Le président en rajoute devant un tel public et affirme que les Juifs américains « doivent voter pour moi, ils n’ont pas d’autre choix ». Le seul problème serait, à ses yeux, que certains Juifs « n’aiment pas assez Israël ».
Un telle accusation a suscité une vague de critiques dans la communauté juive, un groupe stigmatisant même l’usage par Trump de « stéréotypes antisémites », notamment au sujet du « manque de loyauté envers Israël ». C’est que le soutien inconditionnel de Trump à Nétanyahou, sur fond de faveurs échangées entre les deux dirigeants, divise profondément les Juifs américains, dont la solidarité avec Israël ne vaut pas alignement sur les « faucons » au pouvoir. La communauté juive appuyait ainsi largement Obama dans son accord avec l’Iran sur le nucléaire, accord dont le démantèlement par Trump n’a fait d’ailleurs qu’accentuer les tensions dans la région. Seuls les Juifs orthodoxes, très minoritaires au sein de la communauté, se distinguent par leur adhésion à Trump (80% des ultra-orthodoxes avaient déjà voté Trump en 2016). Quant à Adelson, il a été rejoint dans le soutien financier à Trump par le milliardaire Stephen Scharzman, patron de Blackstone, alors que, selon le « Jerusalem Post », les grands donateurs juifs appuient plutôt Joe Biden et le Parti démocrate.
Cette rupture entre Trump et ses compatriotes juifs sur la question d’Israël s’aggrave du fait que les coups de force du président américain au Moyen-Orient visent avant tout à satisfaire sa propre base fondamentaliste. Ces « sionistes chrétiens » ont salué le transfert de l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem. Ce sont d’ailleurs deux prêcheurs, très proches de Trump et connus pour leurs propos antisémites, qui ont apporté leur caution religieuse à la cérémonie de mai 2018. Nétanyahou a de toutes façons fait depuis longtemps le choix de courtiser aux Etats-Unis les « sionistes chrétiens » plutôt que la communauté juive, trop critique à ses yeux, alors que les évangéliques considèrent que la « véritable Terre sainte » se trouve en Cisjordanie occupée et colonisée, d’où leur soutien aveugle à la politique de combat du Premier ministre israélien.
Les Juifs américains sont aussi très inquiets de la libération de la parole et de la violence antisémites au cours des années Trump. L’Anti-Defamation League (ADL) a enregistré une hausse de 40% des incidents antisémites de 2015 à 2019, l’année la plus chargée depuis le début de tels décomptes par l’ADL en 1979. La montée d’un terrorisme d’extrême-droite, avec des attaques meurtrières contre des synagogues, en 2018 en Pennsylvanie, en 2019 en Californie, participe de ce climat délétère. Les dérapages de Trump n’arrangent évidemment rien : le président, selon un tout récent article du « Washington Post », considère que les Juifs « se serrent les coudes » (stick together) et « ne s’occupent que d’eux-mêmes » (are only in it for themselves). Au cours du débat télévisé avec Biden, le coup de chapeau de Trump à une milice d’extrême-droite ravive le choc de la démonstration antisémite de Charlottesville, en 2017, que le président avait d’abord refusé de condamner, avant de renvoyer extrémistes de droite et de gauche dos à dos.
Avec un tel passif, il en faudra certainement plus que les incantations de Trump sur « l’amour d’Israël » pour lui rallier plus du quart de l’électorat juif. Mais les stratèges républicains travaillent à détourner de Biden une partie des électeurs juifs des « swing states », déterminants pour la présidentielle du 3 novembre, en Pennsylvanie, au Michigan, et surtout en Floride. En tout cas, jamais le contraste entre « l’alliance » entre Trump et Nétanyahou, d’une part, et le désaveu du président par la majeure partie de la communauté juive, d’autre part, n’a été aussi troublant.
Visuel : Donald Trump à un meeting de campagne au Prescott Valley Event Center in Prescott Valley, Arizona
crédit Gage Skidmore
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