Tribune publiée dans Mediapartle 28 avril 2015
Le 13 avril dernier, 16 Etats de l’Union européenne (UE), dont la France, ont envoyé à la Haute représentante de l’UE pour les Affaires étrangères, Federica Mogherini, une lettre lui demandant d’œuvrer en faveur d’une politique européenne d’étiquetage des produits en provenance des colonies israéliennes.
Les Etats de l’UE importent chaque année pour plus de 200 millions d’euros de biens agricoles ou de produits fabriqués dans les colonies israéliennes de Cisjordanie et Jérusalem-Est. Ces mêmes Etats considèrent, tout comme l’ensemble de la communauté internationale, que les colonies israéliennes construites à l’Est des frontières de 1967, sont illégales au regard du droit international. Dès lors, que doit faire l’Europe face à ces marchandises : leur imposer un étiquetage spécifique ou interdire leur importation ?
Si, comme le demande la lettre du 13 avril, une mesure d’étiquetage était décidée, tant les pouvoirs publics européens et nationaux que les acteurs économiques du marché devront s’attacher à veiller à ce que la mention « fabriqué dans les colonies israéliennes de Palestine » soit apposée sur lesdits produits, de manière identifiable et lisible par tous les consommateurs.
La solution parait séduisante au premier abord puisqu’il s’agit de faire respecter la loi européenne déjà en vigueur : éviter que le label « made in Israël » s’applique à des produits qui ne sont pas fabriqués sur le sol israélien et permettre au consommateur européen d’être mieux informé de l’origine des produits qui lui sont proposés afin de pouvoir écarter de son panier ceux issus des colonies.
Cependant, cette solution est-elle vraiment conforme au droit international, dont le respect doit être, aux yeux de l’Europe, la pierre-angulaire de toute solution de règlement du conflit israélo-palestinien ?
Il est permis d’en douter. Dans son avis de 2004 sur le mur construit en territoire palestinien occupé, la Cour internationale de Justice de La Haye a indiqué clairement que les Etats membres de la communauté internationale ont pour obligations de « ne pas reconnaitre » la situation illicite découlant de la construction du mur de séparation et de « ne pas prêter aide et assistance » au maintien de cette situation. La formule est applicable aux colonies, dont l’avis rappelle l’illégalité. Or, l’étiquetage des produits des colonies ne permettra pas de remplir ces deux obligations.
En effet, « ne pas reconnaître » les colonies implique de « ne pas reconnaître » les faits et conséquences attachés à leur existence. Pourtant, en étiquetant les produits des colonies, l’Europe permet le commerce avec ces entités déclarées illégales et reconnait dans sa législation l’activité économique qui y est conduite. Cela revient à accepter le point de vue israélien selon lequel ces produits sont légaux, alors qu’ils sont fabriqués sur des terres confisquées aux Palestiniens et à l’aide de ressources naturelles issues de leur territoire. Les colons et tous les partisans de la colonisation ne pourront y voir qu’une forme de reconnaissance juridique par la réglementation européenne d’un fait accompli sur le terrain. Les autres y verront surtout un nouveau symptôme de l’incapacité politique européenne à prendre des positions claires et fermes afin d’agir pour un règlement du conflit israélo-palestinien. Il y a en effet un certain paradoxe à rappeler très régulièrement l’illégalité des colonies israéliennes, tant en légalisant les produits qui en sont issus.
L’étiquetage ne permettra pas non plus à l’Europe de respecter son obligation de « ne pas prêter aide et assistance » au maintien des colonies, obligation qui suppose de ne leur fournir aucun moyen, y compris matériel, commercial et financier.
L’étiquetage spécifique servira certes de repoussoir pour les consommateurs européens engagés ou bien informés mais il n’empêchera pas la poursuite de l’importation et de la vente de ces produits sur le sol européen. Il est cependant clair, comme l’a rappelé cette année le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, dans une résolution votée par les Etats de l’UE, que la commercialisation de ces produits favorise l’activité économique et l’emploi dans les colonies israéliennes. Elle contribue ainsi à la création, la consolidation et l’extension des colonies, aggravant sans cesse leurs conséquences négatives sur le développement économique et social des Palestiniens. Le nombre de colons a doublé depuis 15 ans, pour atteindre 600.000. Cela n’aurait pas été possible ou aurait été rendu beaucoup plus difficile en l’absence de liens économiques avec l’Europe.
En réalité, pour se conformer pleinement au droit international, c’est l’interdiction de l’importation des produits des colonies que l’Europe doit décider et que les Etats membres, et notamment la France, doivent réclamer. Le marché européen ne doit pas constituer un débouché à des activités commerciales conduites dans des entités illégales. Il est possible d’agir : refusant l’annexion de la Crimée par la Russie, l’Europe a été cohérente en interdisant l’importation sur son sol des produits originaires de Crimée. Ne devrait-elle pas suivre une voie identique vis-à-vis d’Israël ?
Ghislain Poissonnier est magistrat.
François Dubuisson est Professeur de droit international à l’Université libre de Bruxelles.
Rabab Khairy est coordinatrice de la campagne « made in illegality » au CNCD-11.11.11.
Claude Léostic est coordinatrice de la campagne « made in illegality » pour la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine.
Campagne en cours