Menachem Klein était récemment en France, à l’invitation de la Plateforme Palestine. Dans une interview à l’Humanité, il revient sur la situation politique israélienne, le contexte des prochaines élections israéliennes et le contexte régional.
Ancien membre du conseil d’administration de l’organisation israélienne pour les droits de l’homme, B’Tselem, Menachem Klein a également conseillé le secrétaire d’État américain John Kerry, lors des discussions israélo-palestiniennes de 2013-2014.
On dit que l’actuel gouvernement israélien est le pire qu’Israël aie jamais eu. Pourtant, la politique de colonisation, de construction du mur, d’attitude vis-à-vis de la communauté internationale n’est pas nouvelle, ni la marque de ce seul gouvernement ?
296703 Image 0Menachem Klein Je vais peut-être vous surprendre : ça peut être encore pire ! Même en Israël, les gens pensent que la situation peut encore se détériorer, être plus grave encore que celle que nous connaissons. Je peux vous donner quelques scénarios. Par exemple, imaginons que Netanyahou gagne à nouveau les élections. Il reste premier ministre et crée une coalition pour gouverner. Naftali Bennett (homme d’affaires et millionnaire israélien qui dirige le parti nationaliste et sioniste religieux d’extrême droite le Foyer juif. Dans le dernier gouvernement Netanyahou, il occupait le poste de ministre de l’Industrie et des Affaires religieuses – NDLR) devient alors ministre de la Défense. L’Autorité palestinienne éclate, il y a le chaos en Cisjordanie, qu’Israël réoccupe. Les colonies s’étendent, on peut imaginer des heurts à Jérusalem-Est, le gouvernement impose une synagogue sur le mont du Temple (dôme du Rocher pour les musulmans –NDLR), les Palestiniens israéliens entrent en rébellion, certains sont tués par la police, des dizaines sont arrêtés… Il y a de nombreuses possibilités, de plans qui n’ont pas encore été mis en place par la coalition gouvernementale, mais qui peuvent l’être.
Comment expliquer que Netanyahou semble demeurer la seule solution plébiscitée par les Israéliens ? Que se passe-t-il dans la société israélienne ?
Menachem Klein Pour moi, Netanyahou n’est pas la solution. Netanyahou est le problème. Cela dit, il faut faire la différence entre la personne Netanyahou et ce qu’il représente. Il faut même parler de Netanyahou et de sa femme, Sara. Les gens, en Israël, en ont marre de Benyamin et de Sara Netanyahou : la corruption qui les entoure, toutes les affaires… Mais les Israéliens n’en ont pas marre de ce que Netanyahou représente. Ce n’est pas seulement sa politique, mais également ce qu’il symbolise. Les Israéliens soutiennent sa politique, ses prises de position, mais pas le style et pas la personne. Et il n’y a aucune autre alternative en ce sens, sauf à soutenir quelqu’un comme Naftali Bennett, qui est très arrogant. Bennett attire principalement les jeunes électeurs à cause de son style qui pourrait se résumer ainsi : « Je suis plus Bibi que Bibi » (Bibi est le surnom de Netanyahou – NDLR). C’est son message. Or, face à Netanyahou ou Bennett, il n’y a pas de véritable opposition. L’alliance passée entre les travaillistes d’Isaac Herzog et le parti de Tzipi Livni, regroupés sous le nom de Camp sioniste, a échoué à représenter une véritable alternative, à présenter une stratégie différente, un scénario politique différent. Au lieu de dire « puisque le Likoud de Netanyahou veut A, je propose anti-A », le Camp sioniste se contente de dire qu’il veut faire pareil mais en mieux, qu’il s’agisse de l’économie, de la politique étrangère… Ceux qui aiment le style de Bennett détestent justement ce style « soft » que représentent Herzog et Livni. Ils préfèrent le langage simpliste d’un homme fort : « On frappera tout le monde ! » Et ceux qui préfèrent le message de Netanyahou disent qu’ils préfèrent l’original. Malheureusement, nous n’avons pas une opposition forte et présentant une alternative claire. Cette opposition devrait utiliser l’opportunité d’une défaite annoncée pour se reconstruire.
La place prise par les représentants des colons au sein de la société aussi bien qu’au sein de l’espace politique israélien est de plus en plus importante. Qu’est-ce que cela reflète ?
Menachem Klein Les colons se sont de plus en plus investis dans l’administration. C’est également ce que montrent les affaires de corruption impliquant le parti de Liebermann (ultradroite, ministre des Affaires étrangères – NDLR), composé essentiellement de colons qui dirigent des conseils locaux dans les colonies en Cisjordanie. Ces colons sont impliqués dans la corruption. Ils ne sont donc pas seulement puissants, mais également intégrés. Ils utilisent l’administration pour promouvoir leur politique coloniale. Mais il faut se souvenir que c’est un gouvernement de droite. Donc, je n’attends pas autre chose.
Pour la première fois, il y aura à ces élections une liste commune entre le Parti communiste israélien et les partis arabes. Est-ce intéressant ?
Menachem Klein À court terme, on peut dire que c’est une bonne chose, car, pour la première fois, ils sont unis, ce qui devrait permettre une plus grande mobilisation de l’électorat arabe et une plus grande participation au scrutin. Mais, en tant que phénomène, je n’aime pas cela. Car, c’est entériner une division ethnique entre les listes.
Le Parti communiste israélien a toujours présenté des candidats issus de toutes les communautés, arabes aussi bien que juives. Ce n’est pas nouveau. Qu’est-ce qui est gênant ?
Menachem Klein Bien sûr, Dov Khenin est député communiste. Mais ce n’est pas une liste basée sur la démographie. Ce que j’aimerais voir, c’est une liste commune, de gauche, composée de juifs et de Palestiniens, de manière à représenter la démographie du pays, qu’il y ait des femmes… Ce qui se passe maintenant n’aide en rien la démocratie israélienne. Une liste démocratique doit représenter tous les citoyens, l’égalité citoyenne. Or, nous n’avons que des listes divisées ethniquement. Ce qui me fait craindre le pire quant à l’avenir de la démocratie israélienne parce que celle-ci est basée sur l’ethnicité, pas sur la citoyenneté. D’où ces « débats » sur l’État juif ou sur la loi de la nation juive. Et maintenant, des blocs ethniques. La liste de Herzog et Livni s’appelle « le Camp sioniste ». Ce qui signifie que ceux qui ne sont pas avec eux sont exclus du sionisme, c’est-à-dire les Palestiniens israéliens. Nous n’avons pas besoin de listes qui renforcent les divisions ethniques.
Est-ce que cela signifie qu’il faut en finir avec le sionisme pour qu’existe une véritable démocratie israélienne ?
Menachem Klein Pas nécessairement. J’ai un grand débat avec la droite israélienne sur ce qu’est le sionisme. La droite israélienne dit que sa seule interprétation du sionisme est vraie. Pour cette droite-là, le contrôle d’Israël sur la Cisjordanie représente le sionisme. Mais si vous revenez à l’histoire du sionisme, vous vous apercevez que ce n’est pas le cas. Le concept de sionisme est soutenu par l’idée de « souveraineté juive » sur la terre d’Israël. Mais qui dit que cela concerne la Cisjordanie ? Si cette souveraineté se fait sur Tel-Aviv, n’est-ce pas du sionisme ? Ce qui ne va pas, c’est qu’une faction a capturé le sionisme, et personne n’ose dire le contraire.
Mais ce genre de débat est difficile en Israël et quasiment impossible en France avec l’attitude du Crif. Comment faire ?
Menachem Klein L’esprit des juifs en Israël et ailleurs est corrompu par des concepts faux. Ils ont arrêté de penser. Ces concepts ont été pris en otage par la politique de la droite et des colons après 1967 et après 1977, lorsqu’ils sont arrivés au pouvoir. Même quand Rabin a voulu changer de route, il a été assassiné. Et la gauche ne montre pas une véritable alternative à la politique de droite. Le débat ne doit pas mener que sur le gel de la colonisation ou sur la création d’un État palestinien, mais aussi sur ce que signifie une démocratie, l’égalité entre citoyens et la citoyenneté. Netanyahou prétend être le premier ministre des juifs partout dans le monde, y compris en France. C’est faux. Il est premier ministre d’Israël. Un point c’est tout. L’entendre dire aux juifs de France qu’ils doivent partir est plus qu’étrange, parce que les juifs sont bien plus en sécurité en Europe qu’en Israël.
Vous étiez un conseiller de John Kerry lors des discussions, l’an dernier, entre Palestiniens et Israéliens qui se déroulaient sous l’égide des États-Unis et seulement des États-Unis. Des discussions qui ont capoté. Est-ce la bonne solution ? Quelles leçons tirez-vous de l’échec des accords d’Oslo ?
Menachem Klein Les accords d’Oslo sont morts. Il est inutile de tenter de les ressusciter. Il y avait tant de problèmes. Établir un accord intérimaire, par exemple, ne fait qu’aider la partie la plus puissante à bloquer le processus ; en l’occurrence, c’est Israël. Nous avons besoin maintenant d’une approche sur le statut final qui peut être mis en œuvre par étapes. Mais ça ne peut pas être obtenu simplement par la négociation. Il faut donc qu’un consensus international impose à Israël les paramètres, le cadre du statut final. Mais John Kerry a refusé de mettre sur la table un document clair listant tous ces paramètres. Il a permis à Israël de rejeter toutes bases en ce sens. Ces paramètres ne sont autres que ceux énoncés à l’ONU. Ils concernent les dates limites pour finir les négociations sur les détails, pour la mise en œuvre d’un État palestinien basé sur les frontières de 1967 avec une possibilité d’échange de territoires ne dépassant pas 3 % et des arrangements sur les souverainetés… Il y a énormément de possibilités. Mais Israël refuse car il préfère le statu quo. Il faut obliger Israël à accepter ces paramètres. Chaque pays doit comprendre pourquoi il est de son propre intérêt qu’il y ait une paix entre Palestiniens et Israéliens, pas simplement pour le bien des Israéliens ou des Palestiniens.
Comment Israël utilise-t-il aujourd’hui la situation au Moyen-Orient ?
Menachem Klein Il l’utilise de la pire des manières. Par exemple, en disant que si un accord est signé avec les Palestiniens, cela signifiera que Daesh (« l’État islamique ») sera dans notre arrière-cour. Or, le meilleur moyen d’affronter le radicalisme est de faire baisser l’intensité du conflit israélo-palestinien. D’autre part, il n’y a plus de Ligue arabe. Il n’y a plus d’Irak, plus de Syrie, plus de Libye, plus de Yémen et plus vraiment de Liban ! Il ne faut donc pas attendre que la Ligue arabe s’investisse dans un processus de paix, pas plus qu’il ne faille attendre que des pays arabes aident Israël en imposant des choses aux Palestiniens. Si Israël se met d’accord avec les Palestiniens pour la paix, alors les pays arabes modérés suivront.
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