Le 11 mai, d’anciens responsables et diplomates européens dont Élisabeth Guigou, Hubert Védrine et Roland Dumas écrivent à la Haute Représentante de la diplomatie européenne, Federica Mogherini. Nous avons traduit cette lettre en français. Elle appelle à une action urgente de l’UE pour une politique cohérente et efficace sur la question de la Palestine.
A : Mme Federica Mogherini, Haute Représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de Sécurité, Vice-Présidente de la Commission européenne
Mmes et MM les Ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne
Copie à M. Donald Tusk Président du Conseil européen
M. Jean-Claude Juncker Président de la Commission européenne
M. Martin Schulz Président du Parlement européen
M. John Kerry Secrétaire d’Etat des Etats-Unis
Objet : une nouvelle approche de l’Union européenne pour résoudre le conflit israélo-palestinien.
Madame la Haute Représentante, Monsieur le Ministre des Affaires étrangères,
La réélection de B. Netanyahu comme Premier ministre d’Israël et la formation d’un nouveau gouvernement israélien de coalition requiert une action urgente de l’Union européenne en vue de construire une politique cohérente et efficace sur la question palestinienne.
Le Groupe Européen d ’Eminentes Personnalités sur les Questions du Moyen-Orient formule les commentaires et les recommandations suivantes sur ce que devrait être cette politique.
Comme l’avait indiqué notre déclaration d’avril 2014, il y a un certain temps que nous considérons le processus d’Oslo-Madrid comme définitivement mort. Les opportunités qu’il offrait pour un règlement ont été étouffées par la méfiance réciproque, par la désunion palestinienne et par l’absence d’intérêt israélien pour une issue de ce genre, comme en témoigne l’expansion à grande échelle de la colonisation.
Durant la récente campagne électorale, M. Netanyahu a pris vis-à-vis de la Palestine des positions diverses dont la plupart étaient défavorables au concept d’Etat palestinien indépendant. Nous sommes intimement convaincus qu’il n’a pas véritablement l’intention de négocier sérieusement en vue d’une solution à deux Etats pendant le mandat de ce nouveau gouvernement israélien. Nous ne sommes guère convaincus non plus que le gouvernement des Etats-Unis sera en mesure de prendre l’initiative de nouvelles négociations avec la vigueur et l’impartialité qu’exige une solution à deux Etats.
Cependant la situation sur le terrain devient de plus en plus dangereuse. Elle a été récemment l’objet d’une moindre priorité que celle d’autres parties de cette région troublée, mais la situation dans les Territoires Occupés reste parmi les pires crises du monde, non seulement en terme d’l’inflammabilité politique mais aussi de déni du Droit international, des droits humains et du droit humanitaire. La sécurité à long terme d’Israël, à laquelle nous attachons une grande valeur, est gravement compromise par l’évolution actuelle des événements, de même que sa réputation internationale. L’expansion illégale continue des colonies en superficie et en population ne fera que renforcer cette tendance.
Le Groupe d’ Eminentes Personnalités Européennes reste attaché à la solution à deux Etats. Nous ne voyons pas de meilleure alternative à la probabilité – dans le cas contraire- de l’établissement dans les territoires en question, soit d’une démocratie non-juive, soit d’une non-démocratie juive, dont aucune ne serait un arrangement stable. Il est temps pour le Conseil des Ministres Européens de construire, pour Israël-Palestine, une politique qui reflète à la fois la nature de la menace contre les intérêts européens que constituerait un processus de paix totalement effondré et assume la responsabilité européenne qui est de définir une position globale, indépendante et efficace sur cette question de première importance en matière de politique étrangère et de sécurité.
L’une des plus sérieuses difficultés dans les précédentes négociations sur un règlement d’ensemble a été le fait que les parties israélienne et palestinienne aient été si inégales du point de vue du statut international. Cette difficulté n’a jamais été abordée avec une quelconque objectivité par les équipes de négociateurs américains. Une certaine différence de statut doit être admise comme inévitable étant donné les circonstances de l’occupation, mais il a toujours été de la responsabilité des promoteurs de la négociation de préserver l’intégrité du processus en assurant l’équivalence des droits historiques des deux peuples au regard du droit international et des principes des Nations unies.
La prise de conscience internationale de ce fait a amené à rehausser la priorité de la reconnaissance de la Palestine dans l’agenda international. Dans le courant de 2014 une impulsion fut donnée dans ce sens par l’action menée sous l’égide des Arabes au cours de l’Assemblée générale des Nations unies et par la décision de la Suède, appuyée par un nombre important de parlements européens, en faveur de la reconnaissance. De nouveaux progrès dans ce sens ont été compromis tant par l’échec des Palestiniens à résoudre leurs divergences internes que par l’opposition israélienne.
Nous maintenons notre point de vue selon lequel l’actuelle assistance financière et politique accordée à l’Autorité Palestinienne par l’Europe et les Etats-Unis ne fait guère plus que pérenniser l’occupation israélienne de la Cisjordanie et l’emprisonnement de Gaza. La faible emprise qu’exerce l’Autorité Palestinienne sur la population de la Cisjordanie est au prix d’une forte dépendance en matière de sécurité et en d’autres domaines vis-à-vis d’Israël, financée principalement par l’Europe et les Etats-Unis. Gaza quant à elle a été scandaleusement laissée de côté.
La situation dans les Territoires Occupés.
Le niveau de vie et le respect des Droits de l’Homme dans les deux territoires se sont détériorés de manière choquante. Il n’est plus possible à l’UE de laisser perdurer ces situations sans risque grave pour sa réputation internationale et pour l’intérêt à long terme qu’elle a à la stabilité de la région. Se cacher derrière le leadership américain en ce qui concerne les aspects politiques du conflit n’est ni glorieux ni productif. L’urgence apparemment plus pressante des crises en Syrie, en Irak, en Libye et au Yémen n’est pas non plus une excuse valable étant donné que les perspectives d’action de principe sur le problème israélo- palestinien, dont les grandes lignes ont été depuis longtemps dessinées par les résolutions des Nations unies, sont mieux définies que dans les autres cas. Nous semblons oublier que le contexte en Palestine est celui d’une occupation militaire de 47 ans caractérisée par de graves violations du droit international.
L’UE doit définir ses priorités. L’’Europe doit trouver une manière efficace de mettre Israël devant ses responsabilités sur la manière dont il maintient l’occupation. Il est temps de démontrer aux deux parties combien l’opinion publique européenne prend au sérieux les violations du droit international, la perpétration d’atrocités et le déni des droits existants.
Il est probable que dans le courant de 2015 le statut de la Palestine sera à nouveau discuté au Conseil de Sécurité des N.U. Les membres de l’UE faisant partie de ce Conseil devraient soutenir ensemble un projet de résolution créant un meilleur équilibre entre Israël et la Palestine en tant qu’entités politiques dans le cadre de toute nouvelle négociation. Si cela signifie la reconnaissance d’un gouvernement palestinien en devenir pour les territoires à l’intérieur des frontières d’avant 1967, ou la fixation d’une date-butoir pour la négociation d’une solution à deux Etats ,l’UE devrait être unie dans le soutien à ces propositions . Quant à l’adhésion de la Palestine à la Cour Pénale Internationale depuis le 1er avril 2015, l’Europe doit s’associer aux Palestiniens pour en faire un usage responsable, en reconnaissant que ses pouvoirs peuvent s’appliquer aussi bien aux actes des Palestiniens qu’à ceux des Israéliens. L’existence de la CPI peut indubitablement être un moyen de première importance pour refréner dans l’avenir les atteintes aux Droits de l’Homme et les crimes de guerre des deux côtés.
L’UE et ses Etats membres se sont abstenus de prendre une position plus active sur le problème israélo-palestinien pour trois raisons principales : leur manque de consensus sur la question , leur concentration sur des crises plus récentes et apparemment plus urgentes au Moyen-Orient , et leur réticence à s’affirmer ouvertement face aux Etats-Unis dans un domaine où Washington a toujours tenu à marquer sa prééminence. Ces trois obstacles doivent maintenant être abordés de front. L’absence de tout processus crédible de négociation, combinée avec la situation désespérée des Territoires Occupés, la légitimité internationale de plus en plus contestée de l’approche israélienne et l’instabilité de la région requièrent un réexamen de la politique de l’UE. Le fait que les efforts américains depuis plus de deux décennies n’ont pratiquement abouti à rien tant du point de vue de la justice due aux Palestiniens que de celui de la sécurité à long terme d’Israël signifie que les intérêts européens eux aussi ont souffert. Cela doit être pris en compte dans une nouvelle formulation de la politique européenne qui mette ces intérêts au premier plan et reflète les attentes d’une opinion publique européenne de plus en plus insatisfaite du statu quo. L’Initiative arabe de Paix, lancée en 2002 mais largement ignorée depuis, devrait être l’un des points d’appui d’une nouvelle approche européenne.
Une telle politique devrait inclure les éléments suivants :
– Dans la ligne de la position européenne formulée en novembre 2014 selon laquelle le développement des relations avec les deux parties dépendrait de leur attitude quant au progrès vers une solution à deux Etats, l’introduction d’éléments substantiels de conditionnalité politique dans leurs transactions avec les deux parties, éléments figurant dans le droit de l’UE en cas de non-respect des exigences fondamentales de l’Union ;
– au Conseil de Sécurité des Nations unies, l’appui de l’UE à une résolution qui soit 1) appelle à de nouvelles négociations et fixe une date-butoir pour la conclusion d’un accord sur une solution à deux Etats, soit 2) crée une plus grande équivalence entre les deux parties israélienne et palestinienne, y compris par la reconnaissance d’un Etat palestinien et un appui énergique à l’adhésion de la Palestine aux traités et aux organisations internationales ;
– la mise au point d’une nouvelle approche en vue de négociations globales sur un règlement , en même temps que la reconnaissance de l’égalité des deux parties. Ce point ferait l’objet d’une discussion approfondie avec les Etats-Unis, mais avec l’idée que l’Europe prendrait seule cette initiative si les Etats-Unis s’avéraient incapables de l’appuyer. La possibilité d’utiliser l’Initiative arabe de Paix comme l’un des éléments de base de cette approche devrait être examinée ;
– une implication étroite et énergique dans le processus d’encouragement de la réconciliation palestinienne comme condition indispensable à une solution à deux Etats. Cela devrait inclure des efforts directs pour persuader le Hamas et les autres factions palestiniennes attachées à la lutte armée d’adopter dès maintenant une ligne politique non-violente ;
– une insistance beaucoup plus forte, s’appuyant sur des mesures praticables de responsabilisation, en faveur d’un comportement des deux parties qui soit conforme aux Droits de l’Homme et aux normes humanitaires internationales, et qui remédie à l’impact inacceptable du conflit sur les populations civiles ;
– une insistance également forte en vue d’un arrêt de l’expansion des colonies et de l’inclusion des colonies existantes dans toute négociation sur le statut territorial final ;
– un appel à l’exigence de droits égaux pour tous les citoyens de l’Etat d’Israël quelle que soit leur origine ethnique ;
– dans la ligne de la lettre adressée le 13 avril 2015 par seize ministres des Affaires étrangères de l’UE à la Haute Représentante, la formulation à l’échelle de l’UE de directives pour un étiquetage correct des produits des colonies, à compléter par des mesures plus dures pour contenir l’expansion des colonies et pour rendre opérationnelle la politique européenne de non-reconnaissance de la souveraineté israélienne au-delà des frontières de 1967 sur l’ensemble des relations UE-Israël ;
– la reconsidération des conséquences du financement actuel par l’UE de l’Autorité palestinienne pour le conditionner au respect des normes internationales correspondant à la situation dans les Territoires Occupés ;
– l’apport, outre les actions propres de l’UE, d’une aide politique et financière accrue aux efforts des Nations unies et de la société civile pour faire face aux problèmes des Territoires Occupés.
Le Groupe Européen d’Eminentes Personnalités prie la Haute Représentante et le Conseil des Ministres de bien vouloir prendre urgemment et sérieusement en considération ces propositions, dans la perspective de l’élaboration d’une nouvelle approche politique dans le courant de l’année 2015.
Sincères salutations
Les membres du Groupe Européen d’Eminentes Personnalités
Hubert Védrine, Ministre des Affaires étrangères de France (1997-2002)
Wolfgang Ischinger, Vice-Ministre des Affaires étrangères de la République Fédérale d’Allemagne (1998-2001) et actuel Président de la Conférence de Sécurité de Munich
Jeremy Greenstock, Ambassadeur du Royaume-Uni auprès des Nations unies (1998-2003)
Andreas van Agt, Premier ministre des Pays Bas (1977-1982)
Frans Andriessen, Vice-Président de la Commission européenne (1985-1993)
Laurens Jean Brinkhorst, Vice-Premier ministre des Pays-Bas (2005-2006)
Hans van den Broek, Ministre des Affaires étrangères des Pays-Bas (1982-1993) et Commissaire européen aux Affaires étrangères
John Bruton, Premier ministre d’Irlande
Roland Dumas, Ministre des Affaires étrangères de France (1988-1993) et Président du Conseil Constitutionnel (1995-2000).
Benita Ferrero-Waldner, Commissaire européenne aux Affaires étrangères (2004-2009) et Ministre des Affaires étrangères d’Autriche (2000-2004)
Elisabeth Guigou, Ministre des Affaires européennes de France (1990-1993) et Ministre de la Justice de France (1997-2000)
Lena Hjelm-Wallén, Ministre des Affaires étrangères de Suède (1994-1998) et Vice-Premier ministre de Suède (1995-2002).
Miguel Moratinos, Ministre des Affaires étrangères d’Espagne (2004-2010) et Représentant Spécial de l’UE pour le Processus de Paix (1996-2003)
Teresa Patricio de Gouveia, Ministre des Affaires étrangères du Portugal (2003-2004)
Ruprecht Polenz, Président de la Commission des Affaires étrangère du Bundestag (République Fédérale d’Allemagne) (2005-2013) et Secrétaire général de la CDU (2000)
Mary Robinson, Présidente de la République d’Irlande (1990-1997) et Commissaire des Nations unies pour les Droits de l’Homme (1997-2002)
Michel Rocard, Premier ministre de France (1988-1991)
Javier Solana, Haut Représentant de l’Union européenne pour la Politique étrangère et de Sécurité commune (1999-2009), Secrétaire général de l’OTAN (1995-1999)
Peter Sutherland, Commissaire européen à la Concurrence (1985-1989) et Directeur général de l’OMC (1993-1995).
traduction en Français par Lucien Champenois pour la Plateforme Palestine
Voir également l’article publié dans The Gardian.
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