Assis à un café de Ramallah, les narines emplies d’effluves de cardamome, notre champ de vision – horizon serait un mot bien cruel – s’est réduit à la déprimante allée fantôme de la partie colonisée de Hébron, dite « H2 », un endroit que beaucoup décrivent comme la face la plus hideuse et contemporaine du conflit, son cœur noir. On tourne la tête vers la droite, et ce sont les portes des échoppes palestiniennes fermées sine die par des soudures qu’on aperçoit. On tourne la tête vers la gauche, et c’est notre guide, un ancien soldat israélien rompu aux patrouilles de ces rues « stérilisées » (dixit le jargon militaire), qui nous fait un topo.
« La Palestine sans filtre »
On repose le casque de réalité virtuelle. Face à nous, Salem Barameh. Ce trentenaire à la tête d’une petite ONG locale, l’Institut palestinien pour la diplomatie publique, s’est fixé pour mission de déciller le monde, face à l’épuisement d’antiennes zombies comme « solution à deux Etats » et « paix et sécurité côte à côte ». Il résume l’idée derrière cette application vidéo gratuite, intitulée « Palestine VR » : « C’est la Palestine sans filtre, par les Palestiniens, pour le reste du monde. » Pensée, tournée et développée sur place.
????Introducing Palestine VR. With this app, you will be able to see what .@RepRashida & .@Ilhan would have experienced if they weren't denied entry into occupied #Palestine by #Israel. For more information, ??https://t.co/4gMQcapqaA #WitnessPalestine #PalestineVirtualReality pic.twitter.com/2csEyTKOFT
— The Palestine Institute for Public Diplomacy (@ThePIPD) October 30, 2019
Le concept est d’abord une riposte à l’interdiction de visite officielle de deux représentantes du Congrès américain en Israël et dans les Territoires palestiniens, en août. Sous la pression de Donald Trump et sous prétexte que ces dernières soutenaient le boycott de l’Etat hébreu pour protester contre l’occupation des Territoires palestiniens, Ilhan Omar et Rashida Tlaib s’étaient vu refuser un visa, du jamais-vu dans les relations Etats-Unis-Israël.
Montrer « ce qu’Israël ne voulait pas qu’elles voient »
Ainsi, l’appli propose aux utilisateurs de vivre les étapes prévues par les organisateurs de la visite via une série de clips filmés à 360 degrés, à la rencontre des intervenants israéliens et palestiniens qui devaient guider les politiciennes américaines. En somme, « ce qu’Israël ne voulait pas qu’elles voient. Le but est de permettre à chacun de voir la réalité telle qu’elle est et d’en juger ». De Jérusalem-Est à Ramallah, en passant par Bethléem et les camps bédouins au bord des routes, une Palestine tout sauf virtuelle.
Outre ces objectifs ouvertement activistes mais pas misérabilistes, l’appli donne accès à des territoires quasi inaccessibles, de la plage de Gaza à l’intérieur de la mosquée Al-Aqsa, dont la visite est un privilège rare pour les non-musulmans. Mais c’est aussi, et surtout pour les Palestiniens – qu’ils soient en exil, dans un camp de réfugiés, d’un côté du mur ou de l’autre – l’opportunité de passer par-delà check-points, barbelés et frontières, et déambuler sans permis dans un pays enfin unifié, à l’instar du grand-père de Salem Barameh. Ce vieillard de Jéricho n’avait plus « vu » le souk de Gaza à hauteur d’homme depuis 1973. Jusqu’à ce qu’on lui pose ce casque sur la tête.
Guillaume Gendron correspondant à Tel-Aviv
Visuel : Salem Barameh, directeur du PIPD, à Ramallah, dans la vidéo de présentation de leur application de réalité virtuelle
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