Pax Christi France publie une traduction en français du dernier rapport des organisations israéliennes B’Tselem et Hamoked, intitulée « Unprotected » et publié en octobre 2017, à propos de la détention des adolescents palestiniens de Jérusalem-Est.
A.A vit dans le village d’Al Esawiyah que l’Etat d’israël a annexé en même temps que Jérusalem en 1967. Il avait 15 ans, quand, aux premières heures du 15 juillet 2016, des policiers et des militaires de l’Agence de Sécurité Israélienne (ISA) sont arrivés chez lui, ont réveillé sa famille et signifié qu’ils venaient l’arrêter. Un militaire de l’ISA est allé avec A.A dans sa chambre, et lui a intimé l’ordre de s’habiller. Les militaires l’ont ensuite menotté et lui ont placé un bandeau sur les yeux, et l’ont embarqué dans une jeep. Il lui a été imposé de garder la tête baissée pendant le trajet. Après un voyage d’à peu près une heure, les militaires l’ont sorti de la jeep et l’ont laissé assis par terre pendant à peu près une demi-heure. Il a ensuite été ramené à la jeep et conduit au poste de police du quartier russe, un commissariat de police important de Jérusalem.
Une fois sur place, A.A a été placé dans une pièce on lui a imposé de se tenir face au mur, dans une position accroupie. Lorsqu’il refusait, il était menacé d’être maltraité lorsque viendrait son interrogatoire. A.A a dû attendre dans cette position entre 30 minutes et une heure, jusqu’à ce qu’un avocat arrive et puisse lui parler. Les militaires ont retiré le bandeau des yeux de A.A seulement au moment où il l’a demandé pour pouvoir voir son avocat, et seulement le temps de l’entretien. Ils lui ont replacé le bandeau sur les yeux à la fin de l’entretien. A.A a été emmené pour l’interrogatoire. Les interrogateurs lui ont enlevé le bandeau et attaché les jambes à une chaise. Ils lui ont dit que s’il restait silencieux, le Tribunal interpréterait cela comme un aveu de culpabilité. A.A a été interrogé pendant douze heures. Il ne lui a pas été permis d’aller aux toilettes, et on ne lui a donné ni à manger ni à boire pendant tout ce temps. Les interrogateurs lui ont dit qu’il n’aurait droit à rien jusqu’à ce qu’il avoue. Ils ont menacé d’arrêter la mère de A.A et le reste de sa famille, et lui ont dit que s’il avouait et dénonçait ses amis, il serait immédiatement relâché. Dans l’après-midi, le Tribunal a prolongé sa détention provisoire jusqu’au lendemain matin. L’interrogatoire a repris immédiatement après l’audience du Tribunal et a duré jusqu’à onze heures du soir. Les interrogateurs n’ont pas autorisé A.A à aller aux toilettes jusqu’à la fin de la séance.
Après avoir été fouillé à corps et avoir parlé à un médecin, A.A a été conduit dans une cellule de détention. Il ne lui a pas été donné de couverture, pas d’habits de rechange et pas d’articles de toilette. Le lendemain matin, pour la première fois depuis son arrestation, il lui a été donné quelque chose à manger. Ensuite, il a été emmené pour un autre interrogatoire qui a duré jusqu’à quatre heures de l’après-midi, mains et jambes attachées. C’est aussi comme cela qu’il a pu déjeuner et utiliser les toilettes. Quand l’interrogatoire a pris fin, il a encore été conduit au Tribunal et sa détention a à nouveau été prolongée. Cette fois, ses parents étaient présents au Tribunal. Après ce passage au Tribunal, l’interrogatoire a repris, jusqu’à sept heures du soir, avant qu’il ne soit reconduit en cellule de détention. Il a été détenu là pendant deux semaines encore, pendant lesquelles il n’a plus subi d’interrogatoires. A partir de ce moment, A.A a été conduit dans un autre établissement pénitentiaire, où sa famille a pu lui rendre visite pour la première fois [1].
Le cas de A.A n’est pas exceptionnel. Il est emblématique de la manière dont les autorités israéliennes traitent les adolescents palestiniens qui lancent des pierres à Jérusalem Est. Pendant des années, des milliers d’adolescents de Jérusalem ont été pareillement arrêtés et interrogés. Quel que soit le degré de violence auquel les jeunes sont soumis et la durée de leur détention, presque tous sont faits prisonniers chez eux, ou à proximité, interrogés pendant des heures et enfermés dans des cellules de détention dans des conditions dures. Ils subissent cette expérience seuls, sans aucun adulte à leurs côtés pour les protéger, leur expliquer ce qui se passe ou leur offrir une aide.
Il serait normal que le système pénitentiaire traite ces adolescents d’une manière adaptée à leur âge, manière qui prenne en compte leur maturité physique et mentale, en intégrant le fait que chaque action pourrait avoir des répercussions de long terme sur ces garçons et sur leur famille. Il serait normal que le système traite ces garçons de manière humaine et équitable et leur donne droit aux protections de base, conformément aux exigences de la loi. Mais ce n’est pas ainsi que les choses se passent. Au lieu de cela, le système pénitentiaire israélien les traite comme des membres d’une population hostile, dont tous les membres, mineurs et adultes au même titre, sont présumés coupables jusqu’à ce que preuve soit faite de leur innocence, et emploie à leur encontre des mesures extrêmes auquel il n’aurait jamais recours vis-à-vis d’autres catégories de la population.
Les sources directes de cet état des lieux sont faciles à faire. Bien qu’en 1967 Israël ait annexé, de manière illégale, à peu près 7.000 hectares de terres – à savoir 600 hectares qui constituaient la partie jordanienne de Jérusalem, et le reste constituant tout ou partie des terres qui appartenaient à 28 villages et villes à proximité -, il a toujours traité les gens qui vivaient sur ces terres comme indésirables et sans droits de base. Le système judiciaire israélien est, par définition, d’un côté du Mur, et les Palestiniens de l’autre. Les policiers, les gardiens de prison, les procureurs et les juges sont toujours des citoyens israéliens. Ils arrêtent, interrogent, jugent et emprisonnent les adolescents palestiniens qui sont perçus comme des ennemis susceptibles de mettre à mal les intérêts de la société israélienne.
Le présent rapport examine comment le système pénitentiaire israélien traite les adolescents palestiniens de Jérusalem Est. Dans cet objectif, HaMoked – le Centre de Défense des Personnes – (ci-après HaMoked) et B’Tselem – le Centre Israélien d’Information pour les Droits de l’Homme dans les Territoires Occupés – (ci-après B’Tselem), ont recueilli les témoignages de 60 jeunes qui ont décrit les expériences qu’ils ont vécu pendant leur arrestation et leur interrogatoire. Le rapport concerne seulement la période d’instruction, c’est-à-dire les étapes conduisant à une inculpation, et ne concerne pas, les périodes ultérieures devant les Tribunaux, s’il y en a eu.
[1] Témoignage recueilli par l’avocat Tagrid Shabita le 23 octobre 2016.
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