Paris, le 7 octobre 2019
Monsieur le Rapporteur spécial,
Nos organisations souhaitent attirer votre attention sur l’urgence de la situation de plusieurs prisonniers politiques palestiniens victimes de tortures.
Les autorités israéliennes ont récemment pratiqué des tortures inhabituelles – non employées depuis de nombreuses années – sur le détenu Samer Al Arbeed, actuellement hospitalisé dans un état grave et sous respiration artificielle. L’ONG palestinienne de défense des droits des prisonniers Addameer rapporte qu’il a été transféré à l’hôpital inconscient et avec de multiples fractures le 27 septembre 2019, deux jours après avoir subi plusieurs interrogatoires lors desquels il a été violemment frappé et privé de voir son avocat. Lors d’une audience le 26 septembre 2019, il a signifié au juge de nombreuses douleurs à la poitrine, des vomissements continus et une impossibilité de s’alimenter. Malgré cela, il a continué à subir des mauvais traitements et tortures pendant des interrogatoires. Le Service de sécurité intérieure israélien a lui-même déclaré avoir fait usage de « techniques exceptionnelles et extrêmes » autorisées elles-mêmes par les autorités judiciaires israéliennes selon le principe de “ticking time-bombs”, qui ne justifie pas la torture dans le cadre d’une enquête, rappelle Amnesty International.
Le détenu palestinien Bassam Al Sayeh, décédé le 8 septembre 2019, avait lui aussi subi des tortures et mauvais traitements pendant sa détention malgré un cancer, des douleurs aux os, une faiblesse du muscle cardiaque et des complications médicales ayant impacté son foie, a rapporté Addameer. Il continuait de subir des interrogatoires violents malgré des pertes de conscience, et a été détenu dans sa cellule 20 jours sans aucun traitement médical. Lors des deux derniers mois de sa détention, il souffrait d’une insuffisance cardiaque et d’une infection aiguë des poumons – il ne pouvait plus bouger ni parler – mais les autorités ont refusé sa libération. Selon l’ONG palestinienne de défense des droits de l’Homme Al Mezan, B. Al Sayeh est le troisième prisonnier palestinien à mourir d’absence délibérée de soins et suivis médicaux de la part des autorités israéliennes cette année. La Commission des détenus et ex-détenus rappelle également que « 221 prisonniers sont morts en détention depuis 1967, dont 72 à la suite de tortures et 67 en raison de négligences médicales ».
Enfin, sept détenus palestiniens risquent la torture pour utiliser l’ultime recours à leur disposition pour protester contre leur détention illégale : la grève de la faim. Au 4 octobre 2019, trois détenus sont en grève de la faim depuis plus de deux mois :
- Ahmad Ghannam, 42 ans, est à son 83e jour de grève de la faim ;
– Ismail Ali, 30 ans, est à est à son 73e jour de grève de la faim ;
– Tariq Qa’adan, 46 ans, est à son 66e jour de grève de la faim ;
Ils prennent le risque d’être soumis à l’alimentation forcée, en vertu d’une loi israélienne adoptée en juillet 2015. Cette mesure a été considérée comme une pratique analogue à un traitement cruel inhumain et dégradant par les Rapporteurs Spéciaux des Nations unies sur la Torture et sur le Droit à la Santé, par l’Association Médicale Mondiale ainsi que l’Association Médicale Israélienne.
Souvent, ces détenus sont sous le régime de la détention administrative, certains depuis plusieurs années. La pratique abusive et systématique de ce régime de détention par les autorités israéliennes est une violation manifeste du droit international humanitaire. Le Comité des Nations unies contre la torture estime que cette pratique est constitutive d’un mauvais traitement lorsqu’elle est anormalement longue.
Comme vous le savez, les Conventions de Genève de 1949 et ses Protocoles I et II de 1977 interdisent strictement la torture et les mauvais traitements. Aucune circonstance exceptionnelle, même liée au contre-terrorisme, ne saurait justifier des tortures, selon la Convention internationale contre la torture. Enfin, le Statut de Rome considère la torture comme constitutive de crime de guerre et de crime contre l’humanité lorsqu’elle est systématique et répandue (articles 7 et 8). L’article 55 du Statut interdit également les mauvais traitements et la torture dans le cadre d’une enquête. Des confessions prises sous la pression de tortures et mauvais traitements sont nulles et ne peuvent être utilisées comme preuves lors d’un procès.
Nous vous demandons ainsi de prendre des mesures urgentes :
– Condamner publiquement ces actes contraires au droit international et rappeler le gouvernement israélien à ses obligations internationales en matière de détention et de lutte contre la torture ;
– Appeler l’Etat d’Israël à ratifier la Convention contre la Torture ;
– Demander une enquête indépendante sur la mort de Bassam Al Sayeh ;
– Demander une enquête indépendante sur les tortures subies par Samer Al Arbeed ;
– Appeler les Etats parties à la Quatrième Convention de Genève à demander des comptes devant la justice aux auteurs de crime de torture, en accord avec les articles 146 et 147 de la Convention.
– Appeler à l’abrogation de la loi israélienne sur l’alimentation forcée ;
– Exiger la fin de la détention administrative telle que pratiquée par Israël.
Dans l’attente de la suite que vous donnerez à notre requête, nous vous prions d’agréer, Monsieur, l’expression de notre haute considération.
M. François Leroux, Président de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine
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Visuel : Samer Al Arbeed, © Addameer
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