Plateforme des ONG Françaises pour la Palestine

La Palestine au féminin

2 août 2018 - Secours catholique, publié le 7 mars 2018

À Gaza, en Cisjordanie ou dans les villes arabes en Israël, des femmes palestiniennes témoignent du sentiment d’être prisonnières d’un double carcan.
Aux contraintes liées à l’occupation, s’ajoute, pour elles, le poids d’une société patriarcale où elles ont du mal à faire leur place.
Dans leur désir d’émancipation, des associations partenaires du Secours Catholique les accompagnent. Reportages.



« C’est nous le patron ! » Reportage à Zubeidat, dans la vallée du Jourdain, en Cisjordanie.

Lina et Dawla dans leur quincaillerie.

Assis derrière le comptoir de la quincaillerie, aux côtés de sa mère, Maher, 5 ans, fait la moue. « Lui, il aurait préféré qu’on ouvre une boutique de jouets », glisse Dawla, 38 ans, en souriant.

Malgré l’amour qu’elle porte à son fils, la jeune femme a fait, avec ses associées, le choix du pragmatisme. Voilà, deux ans qu’elles se sont lancées à neuf dans ce projet de magasin, accompagnées par l’association Tam (Femmes, médias et développement), partenaire du Secours Catholique.

Pourquoi une quincaillerie ? « Parce qu’en réalisant une étude de marché, nous avons constaté que dans les alentours, il n’y avait aucun commerce de ce type, explique Lina, la directrice de l’établissement. Pour trouver les bons produits, il fallait aller à Naplouse, Jénine ou Jéricho, c’est-à-dire à plus de 45 km d’ici. »

« Ici, le conservatisme est très fort. » Bassima

La clochette de la porte d’entrée tinte. Un client fait irruption dans la boutique. C’est un artisan du village. Après quelques minutes d’une discussion enjouée, l’homme repart avec trois mètres de tuyaux en PVC.

Le naturel de la scène est trompeur. Il y a quelques années une telle situation aurait été inimaginable. Aujourd’hui encore, « il arrive que des hommes entrent dans le magasin et en voyant des femmes derrière le comptoir fassent demi-tour, pensant s’être trompés, raconte Dawla. Ou alors, ils demandent à parler au patron. »

« C’est nous le patron ! », s’exclame Lina. Les deux femmes éclatent de rire. « Ce sont des hommes d’autres villages. Car chez nous, ils sont habitués », précisent-elles.

Mais cela n’a pas été facile. « Ici, le conservatisme est très fort », assure Bassima, 42 ans, qui, avec le soutien de Tam, a monté une entreprise d’animation de mariages.

Bassima.

Zubeidat est une commune bédouine de la vallée du Jourdain. Traditionnellement, les femmes ne travaillent pas, ou alors comme ouvrières agricoles dans les cultures maraîchères de la colonie israélienne voisine, et elles sortent rarement de chez elles.

« Avant, seule, je ne me sentais pas autorisée à parler à un homme dans la rue, confie Bassima. Aujourd’hui cela ne pose aucun problème. L’autre jour, un client m’a appelé sur mon portable. J’ai répondu devant mon mari. Avant, il n’aurait pas supporté. Et si j’avais répondu en son absence et que ça s’était su, cela aurait pu être une cause de divorce. »

Rencontre décisive

À Zubeidat, le changement des mentalités s’est opéré progressivement. Ce sont Dawla, Lina et une poignée d’autres femmes qui en sont à l’initiative.

« En 2012, nous étions plusieurs à vouloir être plus actives dans la vie locale. Nous avons créé une association caritative, relate Dawla. Cela nous a aussi permis de sortir du village. »

En 2013, la rencontre avec les responsables de Tam est décisive. L’organisation, basée à Beit-Jala, promeut l’émancipation des femmes palestiniennes en les aidant à créer leur activité économique et en les sensibilisant à leurs droits. Le projet séduit les femmes de Zubeidat.

Nivine, 22 ans, travaille avec Bassima comme photographe et vidéaste. « Mon rêve, c’était d’avoir un Nikkon autour du cou. Et je l’ai réalisé. Mon père est contre mais je le fais quand même. »

Un partenariat voit le jour. Mais les débuts sont houleux. Lana, formatrice à Tam, se souvient des premières réunions d’information interrompues par des hommes furieux venant chercher leur femme, leur sœur ou leur mère.

« C’était parfois violent, se rappelle la jeune femme. Je me suis faite insultée, accusée de venir pervertir leurs femmes. On m’a menacée de me traîner par les cheveux et de me jeter dans les flammes de l’enfer. »

Au début de la formation, « mon fils venait exprimer son opposition, raconte Bassima l’organisatrice de mariages. Aujourd’hui, c’est lui qui m’aide à porter mon matériel. Il me soutient, comme mon mari. »

« Nous voir travailler et réussir fait forcément réfléchir les hommes. » Bassima.

Le volet économique du projet joue un rôle primordial. Son bienfait pour le village comme pour les ménages ne fait aujourd’hui plus débat. Et peu à peu les regards sur ces femmes ont changé.

« Nous voir travailler et constater qu’on réussit fait forcément réfléchir les hommes et de nombreuses femmes qui étaient réticentes, poursuit Bassima. Et puis, dans le cadre de nos activités nous traitons d’égal à égal avec les hommes, cela modifie les rapports. »

Néanmoins, les choses évoluent lentement et du chemin reste à parcourir, conviennent Lina et Dawla. Leur forcing pour faire entrer des voix féminines au Conseil local du village rencontre encore une forte opposition.

Il y a aussi le poids tenace des conventions sociales. « Lorsque nous prenons un taxi à plusieurs femmes, l’une d’entre nous doit souvent s’asseoir à côté du chauffeur. Comme je suis la plus veille, c’est moi. Et on m’embête avec ça », s’agace Lina.

Ces derniers mois, la quadragénaire s’est renseignée pour suivre une formation de taxi. « Au moins, le problème sera réglé », dit-elle avec malice. Une femme taxi en Palestine... Ce serait peut-être une première.

« On pardonne plus facilement les fautes des hommes que celles des femmes » Reportage à Taybeh City, dans le centre d’Israël.

« Si je rentre tard, je me fais gronder. Par contre, pour mon frère, ça ne pose pas de problème », se plaint Amane, 15 ans. Mèche brune soigneusement plaquée sur le front, l’adolescente poursuit : « Et puis, si tu es une fille, tu ne peux pas avoir de copain avant d’être mariée. Un garçon, on ne l’embête pas avec ça. »

Amane explique enfin que les femmes ne font pas de vélo en ville car « c’est mal vu par le voisinage ». Coiffée d’un foulard mauve, Dona, 14 ans, embraye : « Si la taille de ta robe est jugée trop courte, tu te fais aussi mal voir. Et ensuite, c’est toute ta famille qui a mauvaise réputation. »

De toute façon, s’énerve Hiba, 15 ans, « on pardonne et on oublie plus facilement les fautes des hommes que celles des femmes ».

Autour d’elles, une douzaine d’adolescentes approuvent. Ahmad et Amza, les deux garçons du groupe se font discrets. Comme chaque mercredi après-midi, ces jeunes palestiniens sont réunis par l’association Sadaka-Reut (« Amitié » en arabe et en hébreu) dans une salle de classe de l’école El Majd, à Taybeh City, dans le centre d’Israël.

« Les adolescents sont moins formatés. » Halah Abdelhade.

Taybeh est une ville 100% arabe et musulmane. Les familles juives vivent de l’autre côté de la route nationale, en contre-haut, à Sha’ar Efraim.

La mission de Sadaka-Reut, partenaire du Secours Catholique, est d’offrir aux jeunes arabes et juifs d’Israël un espace de pensée critique et de prise d’initiative. Le but : les former à être des acteurs au sein de leur propre communauté et dans les relations israélo-palestiniennes.

« Ce qui est intéressant avec les jeunes de cet âge, constate Halah Abdelhade, de Sadaka-Reut. C’est qu’ils comprennent très bien ce qu’il se passe, tout en étant moins formatés. C’est plus facile de parler avec eux. »

Dans la salle de classe, la discussion se poursuit. Les adolescentes vident leur sac. Dona raconte comment elle a failli louper un voyage de classe parce qu’il y avait une nuit prévue sur place et que son frère n’était pas disponible pour l’accompagner.

« Finalement, deux heures avant le départ, mes parents ont cédé », conclut la jeune fille, dans un large sourire. « Moi, je n’ai pas pu y aller », glisse, amère, Fatewa.

Après le lycée, Hiba voudrait faire des études de médecine. Difficilement imaginable. « Ce serait mal vu », pense-t-elle. Pourquoi ? « Parce que les docteurs travaillent parfois de nuit. »

Assise à côté d’elle, Tala, 14 ans, dénonce les possibilités restreintes pour les filles qui vont à l’université. « Aujourd’hui, chez nous, la femme est destinée à se marier et à élever des enfants. Le choix de ses études, celui de son métier... Tout est conditionné par ça. Elle peut donc être infirmière, enseignante... Mais pas médecin, mécanicienne, policière ou ingénieure électronique. »

Fatewa résume le sentiment du groupe d’adolescentes : « L’occupation n’est pas facile à vivre, à cause du racisme et de la discrimination, mais il y aussi aussi les inconvénient de notre société conservatrice. »

Immobilisme général

Pour Halah Abdelhade les deux phénomènes ne sont pas sans lien. « Je ne dis pas que la société palestinienne n’est pas traditionnellement conservatrice, précise-t-elle. Mais je pense que si elle l’est encore aujourd’hui, c’est en partie à cause de l’immobilisme général - économique, politique et social – causé par l’occupation. »

La jeune femme donne un exemple : « Les violences conjugales subies par une femme arabe ne vont pas être prises en compte de la même manière par la police israélienne que pour une femme juive. Ils pensent : « Chez les arabes, c’est normal ». »

Plus largement, explique-t-elle, « l’absence de perspectives pousse beaucoup de jeunes arabes au repli communautaire et à reproduire le schéma traditionnel de leurs parents. Ils ne vont pas faire d’études, ils vont se marier jeunes... Dans ces conditions, il n’y a pas de place pour une pensée différente, un modèle alternatif. » Elle conclut : « C’est comme une bulle. »

« On ne veut pas que nos fils aient la même mentalité que nos maris » Reportage à Tamra, dans le nord d’Israël.

« Bloquées ». C’est le mot qui vient à l’esprit de Tahani, 44 ans, Hahlam, 38 ans et Yasmine, 28 ans, pour décrire leur situation ces dernières années. « Oui c’est ça, confirme la première, après réflexion. L’homme fait ce qu’il veut, il avance, et nous, nous restons bloquées. »

Les trois femmes ont mal vécu l’interruption brutale de leurs études après le lycée. « J’avais eu de bonnes notes au bac, j’avais l’intuition qu’il fallait que je poursuive », se souvient Yasmine.

Mais sous la pression de sa famille, la jeune femme a renoncé. Comme Hahlam et Tahani avant elle. « Mes parents n’avaient pas les moyens, se rappelle Tahani. Et puis, en tant que femme c’était comme ça. J’avais 17 ans et pas le droit de sortir seule pour aller à l’université. »

Hahlam raconte que son père a préféré financer une maison pour son frère plutôt que lui payer la fac. « Chez moi, on a peur qu’une femme qui fait des études finisse par ne pas trouver de mari, explique Yasmine. Tu dois te marier tôt et ne pas traîner à avoir un premier enfant, sinon tu risques d’être répudiée. »


« J’avais 17 ans et pas le droit de sortir seule pour aller à l’université »
Tahani.

Toutes les trois se sont mariées à 17 ans, sont devenues mères dans la foulée, et ont passé de longues années à s’occuper du foyer familial. « Pendant 10 ans, je suis restée comme ça », décrit Yasmine.

Elle confie en avoir pleuré. « J’éprouvais un sentiment de gâchis. Je voyais certaines de mes copines devenir enseignantes ou faire d’autres métiers, et moi rien... Alors que j’avais de meilleures notes qu’elles au lycée. »

Community organizing

Aujourd’hui, Yasmine a repris des études. Hahlam et Tahani aussi. Cela fait trois ans. Ce vendredi matin, elles sont réunies, avec une dizaine d’autres femmes, au centre culturel de Tamra, dans le centre d’Israël, pour suivre un cours de méthodologie dispensé par l’association Mahapach-Taghir (“Changer les règles du jeu”, en hébreu et en arabe), partenaire du Secours Catholique.

L’association spécialisée dans le community organizing des femmes juives et arabes des quartiers populaires, les a encouragées à se donner une seconde chance. Et elle les accompagne dans leurs projets. Tahani souhaite faire du théâtre avec les enfants, Yasmine voudrait devenir psychomotricienne.

Au début, ça a un peu coincé avec leurs maris qui y voyaient une dépense inutile. Mais ils ont compris qu’il n’avaient pas vraiment le choix, précisent les trois femmes en riant. Aujourd’hui, elles sentent qu’ils sont fiers d’elles. « Mes enfants aussi, précise Hahlam. Leur regard sur moi à changé. »

Une Revanche

Hahlam vit la reprise de sa scolarité comme une revanche. Pour elle, mais aussi pour ses trois enfants. « Je peux les aider à faire leurs devoirs et ça améliore leurs résultats. Avec de bonnes notes, ils pourront aller à l’université et avoir un métier. »

Les deux filles de Tahani sont étudiantes. « Avec mon mari, nous n’avons pas voulu reproduire ce qu’ont fait nos parents. » Pour lui, cela n’a pas été tout de suite évident. D’accord sur le principe des études, ils coinçait sur les choix de cursus de ses filles qui conduisaient l’une à Tel Aviv, l’autre à Jérusalem. « Il fallait qu’elles puissent rentrer tous les soirs dormir à la maison. Il ne voulait pas qu’elles choisissent une formation ailleurs qu’à Haifa. »

« Avec mon mari, nous n’avons pas voulu reproduire ce qu’ont fait nos parents. » Tahani.

À force de discussions, Tahani a réussi à lui faire changer d’avis. « Et maintenant, c’est lui qui adore se rendre à Jérusalem ou Tel Aviv pour rendre visite à ses filles, assure-t-elle. Il a même oublié l’idée de mariage. Le plus important pour lui, c’est qu’elles aient un métier ! »

Au delà de leurs maris, les trois femmes notent une évolution générale des mentalités. Elles comptent y contribuer. « On ne veut pas que nos fils aient la même mentalité que nos maris. »

Hahlam se réjouit d’imaginer les nouvelles générations de femmes palestiniennes plus indépendantes, conscientes de leurs droits et actives dans la société.

Amenant la discussion sur le terrain politique, Tihani estime que les femmes ont quelque chose à apporter - « une énergie et des idées nouvelles » - pour trouver une solution à la situation d’occupation.

Benjamin Sèze.
Crédits photos : ©Élodie Perriot /secours Catholique


Sur le site du Secours catholique


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