Lundi soir, le Premier ministre israélien a acté son échec à former une nouvelle coalition. Son rival centriste Benny Gantz s’est vu confier par le Président israélien la tâche de tenter à son tour d’assembler un « bloc » à même de diriger le pays. Mais ses chances apparaissent minces, ouvrant la voie à un troisième scrutin.
Il n’est pas certain que Benyamin Nétanyahou ait eu le cœur à souffler ses bougies d’anniversaire. Lundi, le Premier ministre israélien, à qui l’adjectif « inamovible » semblait un temps accolé à jamais, a fêté ses 70 ans en renonçant à former un nouveau gouvernement, dans une allocution filmée. Le Président Reuven Rivlin s’est tourné lundi vers son rival Benny Gantz, de dix ans son cadet. Ce dernier aura à son tour 28 jours pour tenter d’assembler une coalition. Nétanyahou est donc toujours Premier ministre, mais plus que jamais en sursis. Surtout, pour la première fois en une décennie, le destin politique du « roi Bibi », recordman de longévité à la tête de l’Etat hébreu, n’est plus entre ses mains.
Cet aveu d’échec était néanmoins attendu. La date butoir du mandat confié par Rivlin à Nétanyahou pour présenter une coalition d’au moins 61 députés était imminente, les quatre semaines fixées par le protocole s’achevant mercredi. Cette fois-ci, Nétanyahou n’a pas réclamé d’extension. Depuis le départ, les négociations en vue d’un gouvernement d’union nationale souhaité par le Président sont au point mort, prolongeant l’impasse politique dans laquelle est plongé le pays depuis presque un an après l’implosion de l’alliance entre les nationalistes laïques et les religieux, socle du pouvoir de Nétanyahou, suivie par deux scrutins non conclusifs.
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Tout au long des tractations, Gantz n’a pas cédé un pouce de terrain, accusant Nétanyahou de multiplier les gesticulations hypocrites. Ce denier s’est en retour indigné de voir Gantz « refuser à maintes reprises de venir à la table des négociations », malgré « ses efforts acharnés » pour épargner au pays une troisième élection.
En réalité, le Premier ministre n’a offert aucune réelle concession, refusant de se séparer de ses « alliés naturels » (ultraorthodoxes et colons messianiques inclus), ou d’imaginer une direction bicéphale du pays avec un vice-premier ministre prêt à prendre la relève en cas d’inculpation, comme le souhaitait Rivlin. Le Premier ministre a surtout mis à profit ces quatre semaines pour cadenasser son parti, le Likoud, faisant planer la menace d’une primaire express (finalement plus risquée que prévu), avant de se raviser en imposant un vote de confiance au comité central de sa formation pour tuer dans l’œuf toute velléité de révolution de palais.
« Le temps du baratin est terminé, maintenant place à l’action », a fait immédiatement savoir l’ex général Benny Gantz dans un communiqué de son parti Bleu et Blanc, aussi bref que musclé. Mais ce dernier, à moins de parvenir à remodeler la tectonique des plaques de la politique israélienne, semble avoir aussi peu de chances que Nétanyahou d’arriver à ses fins. Son « bloc » du centre et de la gauche est minoritaire, et ses alliés potentiels se neutralisent. Qu’il regarde à sa droite du côté du Sphinx ultranationaliste Avigdor Lieberman (qui exclut de siéger avec les religieux ou les Palestiniens d’Israël), ou du côté des partis arabes, prêts à le soutenir « de l’extérieur » mais pas à entrer dans son gouvernement.
Nétanyahou a déjà fait des éventuels contacts entre Gantz et les partis arabes une thématique toxique, accusant dans sa vidéo le centriste de chercher à former un « gouvernement minoritaire de gauche » avec « ceux qui glorifient le terrorisme ». Officiellement, Gantz n’exclut toujours pas de gouverner avec le Likoud, soit par la grâce de défections massives et très peu probables, soit en signant un accord d’alternance à la tête du pays. Mais à la condition que l’ancien chef d’État-major siège en tant que Premier ministre le premier, le temps que Nétanyahou lave son honneur devant les juges.
En coulisses, les deux hommes partagent le constat de leur impuissance respective et font le même pari du pourrissement menant à un troisième scrutin, qui pourrait advenir en mars 2020. Au-delà de ce calendrier hypothétique, les deux rivaux ont les yeux rivés sur l’agenda judiciaire du Premier ministre. Les médias israéliens avancent que le procureur général Avichaï Mandelblit devrait décider d’inculper (ou non) Nétanyahou dans trois affaires de corruption d’ici le 15 décembre.
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Persuadé que son statut de Premier ministre - même intérimaire - le protège, Nétanyahou se cramponne au pouvoir et voit son salut dans ce temps suspendu. Les conseillers de Gantz imaginent quant à eux que remporter une troisième élection face à un Premier ministre officiellement mis en examen sera plus aisé que l’improbable bricolage d’une coalition avec Lieberman. D’ici là, chaque camp s’accorde sur un double constat : Nétanyahou n’est pas encore à terre, et Israël loin d’être sorti de l’impasse.
Guillaume Gendron, correspondant à Tel-Aviv
Visuel : B. Netanyahou, Wikimedia Commons, President of Russia
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