Les pressions et menaces s’accentuent sur les ONG de défense des droits humains. Le gouvernement, comme des associations d’extrême droite, cherchent à les discréditer auprès de l’opinion.
Ni la pression de l’Union européenne ou celle des États-Unis, ni les réserves émises par le président de l’État d’Israël Reuven Rivlin n’ont réussi à faire plier les faucons israéliens : le 12 juillet dernier, la Knesset a adopté la « loi sur la transparence » qui renforce les contrôles sur les ONG. Si le texte a quelque peu été édulcoré par rapport au projet initial, l’objectif recherché reste bien le même : obliger les ONG qui reçoivent plus de la moitié de leur financement de gouvernements étrangers à publier la liste de leurs soutiens sur leur support de communication et de la remettre à jour tous les trois mois (voir interview p. 13).
Cette loi vise à accréditer l’idée selon laquelle les mouvements de défense des droits humains seraient des « agents de l’étranger ». Le Premier ministre, Benjamin Netanyahu, a d’ailleurs été on ne peut plus clair : la loi « prévient une situation absurde dans laquelle les pays étrangers interviennent dans les affaires intérieures israéliennes en finançant des ONG sans que les Israéliens en aient connaissance ».
« Il est encore trop tôt pour mesurer les conséquences de cette loi », explique Becca Strober, coordinatrice des études d’évaluation de l’ONG Sadaka-Reut, partenaire du CCFD-Terre Solidaire qui organise des formations regroupant Israéliens et Palestiniens. « Cette loi dite de “transparence” est une aberration, car notre pays est l’un des plus transparents au monde sur ce sujet. Plusieurs textes déjà votés nous imposent de publier annuellement nos comptes en détaillant le nom des donateurs, les montants et la manière dont nous les avons utilisés. »
Vingt-sept mouvements ciblés par la loi
« Cette loi n’est que le prolongement d’actions menées contre les ONG sur plusieurs fronts », ajoute Niva Grunzweig, chargée des relations publiques de Zochrot, un mouvement qui milite activement pour le droit au retour des Palestiniens expulsés en 1948 au moment de la création d’Israël.
Depuis plusieurs mois, les ONG doivent en effet faire face à de multiples attaques. Comme en témoignent B’Tselem [1] et Breaking the Silence, partenaire du CCFD-Terre Solidaire, ONG fondée en 2004 par des soldats ayant servi à Hébron.
L’association, depuis sa création, a publié plus de 1 000 témoignages qui mettent en évidence les pratiques de l’armée israélienne dans les territoires occupés. Elle fait partie des vingt-sept mouvements clairement ciblés par la loi sur la transparence. Elle a même été infiltrée par des groupes chargés de la discréditer en transformant la réalité ou en publiant des contre-témoignages mensongers. Elle subit aussi les messages de haine sur les réseaux sociaux. En outre, les conférences et interventions organisées par Breaking the Silence pour sensibiliser le public, ont été interdites dans les écoles ou les casernes.
Niva Grunzweig de Zochrot reconnaît que la situation s’est particulièrement tendue depuis la dernière guerre dans la bande de Gaza en 2014. « L’atmosphère est devenue plus lourde, une partie de la population nous regarde comme des traîtres et un sentiment de peur est en train de se propager. » L’ONG Zochrot a aujourd’hui du mal à trouver des enseignants qui acceptent d’accueillir ses militants dans les salles de classes afin d’expliquer aux élèves la situation du peuple palestinien.
« Certains enseignants qui avaient donné leur accord ont même été licenciés même si bien sûr, leur établissement a mis en avant d’autres arguments pour agir de la sorte », précise-t-elle.
En 2009, le gouvernement israélien avait déjà interdit, dans les livres d’histoire, l’usage du mot Nakba, désignant en arabe l’exode de quelque 700 000 Palestiniens, en 1948, après la première guerre israélo-arabe. Et deux ans plus tard, un autre texte menaçait de sanctions financières et pénales toutes les organisations commémorant cet exode.
Des mesures contreproductives
Cette montée des tensions intervient dans un contexte marqué par une droitisation de l’opinion publique. Chaque nouvelle élection est l’occasion de mesurer les bons scores des partis extrêmes qui attisent les craintes des électeurs en matière de sécurité. Les tensions au Proche et Moyen-Orient ont certes favorisé ce phénomène qui s’apparente toutefois à une fuite en avant. Le focus mis sur les questions de sécurité permet de masquer notamment la dégradation de la situation économique et sociale.
De plus, la campagne menée par le BDS [2], le mouvement demandant le boycott des produits israéliens et des entreprises investissant dans les territoires occupés, commence à marquer des points en Europe. Exemple : après Séville ou Saint-Jacques de Compostelle, la ville de Cadix a rejoint la liste des dix villes espagnoles soutenant cette initiative.
Seule voie discordante à l’intérieur du pays, les ONG ne sont pas prêtes à baisser les bras. « La situation est paradoxale car si une partie de la population a peur, de plus en plus de citoyens participent à nos activités. Nous avons par exemple organisé deux séminaires cet été sur des sujets sensibles, comme la colonisation dans l’histoire ou la justice, qui ont eu un énorme succès. Nous avons dû refuser des candidats, faute de place ! Et plus le gouvernement et les associations d’extrême droite cherchent à nous discréditer, plus une partie de l’opinion souhaite comprendre et se faire sa propre idée sur les défis que nous avons à relever », met en avant Niva Grunzweig, confiante, malgré cette chape de plomb, en l’avenir...
[1] Centre israélien d’information pour les droits humains dans les territoires occupés.
[2] BDS : Boycott, désinvestissement, sanctions.
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