Plateforme des ONG Françaises pour la Palestine

Introduction à l’Assemblée Générale de la Plateforme, 29 juin 2018

2 juillet 2018

Cette Assemblée Générale se tient dans une période cruciale à un moment où le monde, bien sombre, semble plonger vers l’inconnu. Au niveau international comme français, on constate des atteintes récurrentes aux droits des citoyen.ne.s, à ceux des peuples et aux valeurs considérées jusqu’à lors comme universelles (même si elle sont vues ainsi sont au prisme des puissances dominantes traditionnelles occidentales, auxquelles se sont ralliées la plupart des nations) : droits de l’Homme, droit international, « liberté, égalité, fraternité », exprimées notamment dans les documents et organismes des Nations unies (charte et résolutions) et les conventions internationales. Nous sommes sans doute à un de ces tournants de l’histoire qui modifient les équilibres et les forces économiques et politiques au détriment des protections sociales acquises de longue lutte et des droits collectifs et individuels. Un de ces moments dangereux qui mettent en scène la violence plutôt que le dialogue, la guerre plutôt que la paix.

Une première préoccupation porte sur la montée des extrêmes droites ou des mouvements dangereusement populistes. Le dernier avatar est la victoire du Mouvement 5 Etoiles et de la Ligue du Nord en Italie avec les risques majeurs que cela pose pour l’avenir même de la stabilité de l’Europe (quoi qu’on pense par ailleurs de cette Europe là). En Finlande comme en Belgique la droite extrême est entrée au gouvernement et elle progresse en Allemagne. Pologne, Autriche, Hongrie, Slovaquie, Bulgarie... A l’autre bout du monde, la Colombie vient de tomber dans le giron de l’extrême droite de Duque, qui remet déjà en cause l’accord de paix avec les Farc. Sur l’ensemble de l’Amérique latine, les revers des mouvements de gauche se confirment sur fond d’ébullition politique, de rejet des élites et de relents de la crise économique de 2008. Le caractère xénophobe de l’Australie et de pays d’Asie du Sud-Est a pignon sur rue. Le Canada n’est pas exempt de dérive populiste, comme le montre l’élection récente en Ontario, et bien sûr Trump a été élu aux USA.

Tableau inquiétant d’un monde où les peurs et intérêts personnels priment et où les murs remplacent les ponts. Où les migrants sont vus comme une menace existentielle qui permet toutes les violations du droit. On laisse les gens périr en mer Méditerranée, mourir dans la neige des Alpes ou se déssécher au soleil du désert algérien. Et on accuse les ONG humanitaires qui, dans un souci de solidarité et d’humanité, mettent en place des missions de sauvetage de faire le jeu de passeurs illégaux et de violer la loi. Dans une exacerbation de cette logique, l’administration américaine, qui privilégie les murs arcboutés sur une lecture régressive de textes religieux, enferme dans des camp inhumains des enfants de migrants loin de leurs parents emprisonnés. Que Trump ait mis un bémol à cette politique effrayante est dû sans doute au tollé international soulevé, mais plus encore à la crainte du lâchage d’une partie de ses soutiens pour l’élection de mi-mandat qui se profile. Pas d’humanité soudaine, de sordides calculs.

L’environnement moyen-oriental n’engage guère à plus d’optimisme. La large victoire toute récente d’Erdogan sonne le glas des espoirs de libéralisation, à défaut de démocratie, en Turquie, et de reconnaissance de la lutte des Kurdes pour l’autonomie, eux et elles qui ont eu le courage de se battre seuls sur le terrain et de gagner contre les salafistes de Daech. L’avenir pour les opposants turcs à la gouvernance dictatoriale d’Erdogan est désespérant. L’Arabie saoudite, dans sa volonté de contrôle du Golfe soumis à des remous persistants et de leadership de l’alliance contre l’Iran, l’ennemi principal, s’acharne sur le Yémen dont la population se meurt dans le silence des grandes puissances et l’ignorance des opinions. Cette guerre là ne mérite pas une couverture médiatique. Celle de Syrie a aussi quitté les radars des médias influents. Exsangue, sous le joug réaffirmé d’Assad, la Syrie reste le terrain de jeu d’antagonismes politiques et géostratégiques particulièrement criminels sous les yeux complaisants de la Russie de Poutine. Elle est aussi un terrain d’expérimentation militaro-politique d’Israël. Le Maghreb n’est pas en reste quand le Maroc condamne lourdement des militants de la société civile du Rif et que la Libye se comporte en puissance esclavagiste dans son rapport aux migrants.

Comment s’étonner alors de la situation de la Palestine ? Pendant de longues années phare de la résistance des peuples, notamment dans le monde arabe, elle est passée au second plan dans cet environnement mortifère où pour des pipe-lines, des monopoles politiques et/ou religieux ou l’intérêt de grandes firmes ou de marchands d’armes, les peuples meurent sous les coups de boutoir de la répression militaro-politique, de la régression socio-politique et sociétale.

La violence coloniale ne se relâche pas en Cisjordanie occupée, dont la Jérusalem palestinienne, soumise à une politique d’épuration ethnique qui s’intensifie au rythme accéléré de la colonisation illégale. Les projets israéliens récents convergent vers une annexion ou au moins une occupation totale du territoire palestinien, avec, comme depuis le début de la présence sioniste en Palestine, le moins de Palestiniens possibles et, pour ceux qui resteraient, le moins de droits possibles. Lors de nos cycles de réflexion, P. Stamboul en fit un exposé éclairant. Arrestations arbitraires, emprisonnement illégal (plus de 6 000 Palestiniens sont aujourd’hui détenus en violation du droit, et parmi eux notre compatriote Salah Hamouri dont la détention administrative vient d’être renouvelée pour 3 mois), destructions de maisons et diverses structures, de cultures et d’arbres, raids, attaques violentes des colons ou des soldats, déportation de population et arrestations arbitraires marquent le quotidien des 3 millions de Palestiniens qui, en continuant résolument de vivre et travailler sur leur terre, refusent pourtant de céder la place à l’occupant. L’inventivité de leurs manifestations, à Bil’in par exemple, n’a d’égal que leur détermination, comme à Nabi Saleh où la famille Tamimi paie au prix fort sa résistance.

Gaza vit l’enfer de la violence militaire israélienne quotidienne. En plus du blocus illégal qui depuis 11 ans vise à étouffer et tuer Gaza et mettre sa population à genoux, les attaques récurrentes contre les quelque 2 millions de Gazaouis, particulièrement les pêcheurs et les agriculteurs, leur rendent la vie insupportable. Pas d’eau, d’électricité, de médicaments, de logements pour beaucoup, l’industrie en ruines, la peur constante et les traumatismes graves infligés aux enfants, le sentiment étouffant de la privation arbitraire de liberté : l’occupation israélienne est une punition collective qui relève de crimes de guerre. P. Krahenbühl, responsable de l’UNWRA,l ’organisme des Nations unies en charge des réfugiés palestiniens, en témoignait récemment lors d’une rencontre avec nous. La répression sauvage des manifestations pacifiques de la « Grande Marche du Retour » lancées fin mars 2018 a fait plus de 135 morts et 13000 blessés, handicapés, mutilés, traumatisés à vie et devenus une charge insupportable pour des familles démunies de tout. La perversité du gouvernement israélien est ici à l’oeuvre. Les ordres donnés aux soldats et corroborés après les assassinats des civils palestiniens sont clairs : tout faire pour terrifier et dissuader, tout faire pour déstructurer encore plus une population qui n’en peut plus. Il n’est pas surprenant que l’on voie apparaître des suicides -de jeunes dont beaucoup cherchent aussi à émigrer quitte à laisser leur vie en Méditerranée- que et que l’ONU mette en garde : dans 2 ans Gaza ne sera plus vivable. Plus du tout. L’UNWRA, lance aussi un cri d’alarme voire un SOS. Les USA de Trump ont considérablement réduit leur contribution et le financement, déjà restreint, est maintenant très insuffisant. L’UNWRA qui apporte une aide de base à une majorité des Palestiniens de Gaza -dont plus de 70 % sont des réfugiés- va devoir réduire son aide drastiquement. Et Pierre Krahenbühl d’affirmer malgré tout la force de vie et de résistance des réfugiés palestiniens de Gaza et leur exigence maintenue du droit au retour.

Pour ajouter à l’insupportable violence de l’occupation, la direction palestinienne, discréditée et tenue par des engagements anciens (accords d’Oslo) et des choix stratégiques plus récents (le parti-pris pro-USA de M. Abbas dans la résolution du « conflit ») joue un rôle de plus en plus affirmé de supplétif de l’occupant. Parlant de « terrorisme » devant des actions désespérées de jeunes Palestiniens, les autorités de Ramallah font le jeu des dirigeants israéliens en réprimant violemment les manifestations qui se répandent en Cisjordanie en soutien à Gaza, sous blocus mortel et sous le feu dévastateur des snipers dont les généraux de Netanyahou « savent exactement où chaque balle a frappé ». Les témoignages visuels des forces de police palestiniennes sont glaçants : rien à envier à l’attirail (uniformes de combat et armes) et aux comportements violents de nos forces de répression ou aux occupants israéliens. Mais d’un autre côté, M. Abbas refuse obstinément le « plan du siècle » infernal concocté par Trump, l’Arabie saoudite et Israël, avec le soutien de l’Egypte et de la Jordanie, plan qui vise tout simplement à accéder à toutes les demandes israéliennes et à museler définitivement les revendications palestiniennes.

Quand une direction nationale fait -ne serait ce que partiellement- le travail de l’occupant, on est bien loin d’achever la lutte de libération nationale. Lutte qui pour vaincre nécessite une direction unie, honnête et déterminée à oeuvrer pour son peuple et sa liberté. Les incessantes divergences réelles ou manipulées et les luttes de pouvoir politique et idéologique entre Hamas et Fatah sont particulièrement dommageables face à un occupant puissant et déterminé, appuyé par les USA, qui se moque du droit et de la justice. La très grande majorité des Palestiniens n’en veut plus. Mais la recherche de l’unité est un long chemin fait d’avancées et de recul, sous pression constante de l’occupant et de ses parrains.

Les dirigeants israéliens, en voie de fascisation avancée selon nos partenaires anticolonialistes tel M. Warchawski ou Eléonore Merza, nos invités il y a quelques mois, avancent drapeau au vent vers la confiscation totale des droits des Palestiniens, en Palestine occupée et en Israël, et aussi vers la répression de toute solidarité avec eux. Les projets de loi se suivent qui légalisent colonisation et expulsions, interdiction de documenter les crimes commis et attaques contre les ONG, légalisation du credo raciste et liberticide d’un Israël pour ses seuls citoyens juifs [1]. Société violente, éclatée, mais présentant une unité de façade, Israël ne tient que sous la menace d’un ennemi extérieur, palestinien ou iranien, Hamas ou Hezbollah, brandie par des dirigeants dont les déclarations outrancières devraient leur attirer les foudres des démocraties.

Mais non. Outre les décisions pyromanes de Trump qui déplace l’ambassade US à Jérusalem et approuve tous les projets coloniaux de Netanyahou, la politique française en témoigne douloureusement. Le tropisme israélien de M. Macron s’affirme toujours davantage malgré des déclarations contre la colonisation, le blocus de Gaza ou le rappel du droit et de la position traditionnelle de la France pour la solution à deux Etats. Solution plus utopique chaque jour où la colonisation avale plus de terre palestinienne et où les colons font la loi tandis que les soldats assassinent, où Gaza est pratiquement en état de mort clinique et où Jérusalem est dans le viseur de l’occupant, comme notre récent colloque l’a démontré. Position ubuesque, si elle n’avait pas de terribles conséquences, qui consiste à refuser de reconnaitre l’un de ces Etats. Le tapis rouge déployé pour le criminel de guerre qui dirige Israël, à l’heure où son armée commet de nouveaux massacres à Gaza (les « événements » selon le dernier courrier de l’Elysée), les déclarations d’amitié éternelle et le maintien de cette saison croisée France-Israël sont une insulte aux victimes gazaouies mais aussi à l’honneur de notre pays, aux valeurs universelles qu’il affiche. La criminalisation de la solidarité s’y poursuit même si les amalgames honteux « critique d’Israël/antisionisme = antisémitisme » sont moins présents sur la scène publique malgré les pressions du lobby pro-israélien en France. De plus, entre champagne et embrassades avec Nétanyahou, M. Macron n’a pas le temps de recevoir Elsa lefort, l’épouse de Salah Hamouri dont l’emprisonnement encore renouvelé est pourtant une gifle personnelle pour lui. Les intérêts militaro-économiques et stratégiques priment sur le droit, la collaboration militaire et sécuritaire sur la justice.

Et pourtant il faut espérer. Espérer des peuples à défaut de leurs dirigeants. Pour une forte majorité Israël est vu comme un grand danger pour la paix du monde, les grandes ONG se mobilisent pour dénoncer les violations du droit (Amnesty...). Le tollé suscité par les massacres à Gaza témoigne de la détérioration continue de l’image d’Israël. BDS connaît des victoires significatives et continue de mobiliser. Le boycott citoyen, qui est l’expression d’une opinion, accompagne le désinvestissement de nombreuses institutions de leurs contreparties israéliennes. Ainsi Systra se désengage-t-il du tramway de Jérusalem dénoncé dans le rapport dont nous sommes partie prenante. Des villes et entreprises annoncent leur retrait de partenariats, des artistes refusent de se plier à la pression et annulent des performances etc. .A défaut d’actes justes des Etats pour imposer le droit à Israël, les sociétés civiles prennent en main la solidarité, comme la Flottille de la Liberté pour Gaza, en route actuellement vers la Palestine et que nous soutenons activement. Le gouvernement français, par contre, a fait obstacle à l’escale à Paris des deux petits bateaux porteurs d’un message de justice et refusent d’assumer sa décision.

Mais l’espoir premier c’est bien sûr la population palestinienne qui résiste à la violence de l’occupant. C’est l’inventivité des Palestiniens de Gaza pour lutter par des cerfs-volants contre l’armée qui les massacre. C’est l’obstination des pêcheurs à sortir en mer. Ce sont les grandes manifestations de solidarité avec Gaza en Cisjordanie et le maintien quotidien de la résistance non violente. C’est le choix stratégique de ces actions populaires massives ou, sans autres armes que leur courage et la justesse de leur cause, la population refuse la mort lente - mais très douloureuse- à Gaza et la colonisation, la dépossession en Cisjordanie. C’est pour les réfugiés, la revendication toujours rapellée du droit au retour. Contre la Nakba qui continue, la résistance ne faiblit pas et de nouvelles formes de mobilisation s’installent.

C’est aussi en Israël l’engagement réitéré de journalistes et militants anticolonialistes courageux de continuer à documenter et dénoncer les crimes commis par leurs gouvernants à défaut de pouvoir infléchir leur politique criminelle.

En France le mouvement de solidarité ne s’est pas laissé impressionner par les menaces et autres pressions exercées sur les militants, y compris sur la Plateforme, soumise à un contrôle directif de certains de nos bailleurs et dans le collimateur des alliés d’Israël. En parallèle avec l’organisation par d’autres structures de mobilisations de rue, notre travail d’information et de pression ne se relâche pas. Nous avons cette année, dans la campagne 1947-2017 puis 2018 produit une grande quantité de documents et outils pour nos membres et le public. Nous avons par des conférences et des cycles de réflexion approfondi notre analyse et affiné notre communication. Seuls ou avec nos partenaires de Palestine et Israël que nous invitons régulièrement, notre plaidoyer auprès des autorités reste constant mais son efficacité apparait médiocre comme en témoignent les réponses à nos courriers qui rabâchent le discours officiel voire le réduisent (cf. la dernière lettre de la présidence et l’absence de réponse à la demande de r/v sur la flottille). Il faut néanmoins le poursuivre car il assoit notre crédibilité au niveau des décideurs qui savent notre compétence sur la question Palestine/Israël à défaut de la prendre en compte concrètement, et nous permet de poser nos exigences légitimes. Dans le cadre plus large du refus de l’arbitraire, de la violence d’Etat contre les migrants, les jeunes et les plus démunis, notre voix doit continuer de se faire entendre avec force. La lutte des Palestiniens et notre solidarité sont exemplaires des valeurs d’humanité et de liberté que nos dirigeants ont oubliés ou trahis. La Plateforme s’inscrit dans ce juste combat.



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