Plateforme des ONG Françaises pour la Palestine

« Il faut refuser la fiction d’un Israël démocratique cohabitant avec un Israël occupant »

30 mai 2022

Roy Yellin, directeur de la sensibilisation pour l’ONG israélienne B’Tselem, répond à Infos Palestine au sujet du rapport « Un régime de suprématie juive du Jourdain à la Méditerranée : c’est l’apartheid », publié le 12 janvier 2021.



Infos Palestine : Comment B’Tselem a-t-elle décidé de travailler sur l’apartheid ?

Roy Yellin : Pendant de nombreuses années, nos équipes ont estimé qu’utiliser uniquement la notion d’occupation ne reflétait pas la situation sur le terrain. Lors de la création de l’association, l’objectif était de travailler spécifiquement sur les violations des droits humains commises sur les territoires occupés par Israël à cette époque. En droit international, l’occupation est censée être temporaire. Cependant, Israël a commis des violations graves du droit international manifestement contraires à l’intention d’évacuer les territoires occupés.

Nous avons longtemps utilisé des termes qui étaient en réalité des euphémismes, tels que « l’occupation illégale » ou « l’annexion de facto ». Puis après 50 ans d’occupation, nous avons commencé à nous demander si les mots que nous utilisions décrivaient bien la réalité. Ce fut un cheminement progressif pour nous, même si de nombreuses ONG en Israël et en Palestine utilisaient déjà le terme d’apartheid depuis un certain temps.

Après quelques années, nous avons commencé à étudier la question en documentant les violations nombreuses et quotidiennes des droits humains qui permettent de définir un régime d’apartheid. Il nous a fallu plus de deux ans avant que notre équipe dispose d’un document prêt à être publié.

Quelles sont les conclusions de votre rapport ?

La notion d’apartheid est née en Afrique du Sud, mais nous ne faisons pas une comparaison avec la situation telle qu’elle existait dans ce pays, il s’agit uniquement d’une façon d’examiner le fonctionnement du régime. En droit international, le terme d’apartheid désigne un groupe perpétuant sa domination sur un autre groupe au moyen de lois, de pratiques et de violence institutionnalisées, ce qui est le cas pour la population palestinienne.

Israël ne revendique pas une distinction entre Israéliens et Palestiniens basée sur la race, ce n’est pas un Etat raciste comme l’était l’Afrique du Sud. Mais la race n’est pas un vrai concept, c’est un concept socialement construit et il s’entremêle parfois avec la définition de l’apartheid. Le droit international englobe sous le terme de groupe racial « toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique », ce qui correspond bien à notre contexte.

Le gouvernement israélien martèle qu’il ne peut pas exister de situation d’apartheid car un juge palestinien siège à la Cour suprême et un parti palestinien prend part à la coalition au pouvoir en Israël. Pourtant, les Palestiniens vivent des discriminations au quotidien, même lorsqu’ils sont citoyens israéliens. C’est devenu un principe constitutionnel, Israël est devenu « l’État-nation du peuple juif »et il est très explicite que les Palestiniens ne sont pas égaux aux juifs. Il est ridicule d’utiliser ces arguments de pseudo-représentation tout en refusant des droits humains élémentaires à des millions de personnes.

Utiliser le terme d’apartheid permet d’annuler cette idée qu’il existe deux États d’Israël différents, une sorte d’État démocratique légitime et un autre responsable de l’occupation. En réalité, il s’agit d’un seul et même régime d’apartheid.

Quelles sont vos principales recommandations ?

Nous souhaitons une transformation démocratique. B’Tselem soutient toute solution au conflit qui respecterait les droits humains, les droits politiques et l’égalité des personnes. Ce pourrait être un, deux ou même sept Etat démocratiques ! Ce qui est inacceptable, c’est la situation actuelle.

L’autre objectif est d’arrêter de traiter Israël comme une démocratie car jusqu’à présent, l’État n’a connu aucune sanction de la part de la communauté internationale. Jusqu’à présent, Israël a bénéficié d’une immunité totale, alors que si des sanctions étaient prises, Israël devrait repenser sa relation avec les Palestiniens.

Pour briser le statu quo, nous sommes donc persuadés qu’il faut d’abord changer la façon dont nous parlons de la situation en Israël, et donc de l’apartheid de la Méditerranée jusqu’aux rives du Jourdain.

Propos recueillis par Fiona Vanston

Article publié dans Infos Palestine n° 72. Retrouvez les numéros d’Infos Palestine, le bulletin trimestriel de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine, sur cette page.

Crédits photo : Grafitti sur la barrière de séparation israélienne - côté palestinien / Edgardo W. Olivera Flickr Creative Commons



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