Plateforme des ONG Françaises pour la Palestine

Compte-​​rendu de la 3e session du Tribunal Russell sur la Palestine

6 février 2012

« Les pra­tiques d’Israël envers le Peuple pales­tinien violent-​​elles l’interdiction inter­na­tionale de l’apartheid ? »

(Le Cap – Afrique du Sud – 5 et 6 novembre 2011)

Après les ses­sions de Bar­celone (mars 2010) sur la res­pon­sa­bilité de l’Union euro­péenne et de ses États Membres dans la pour­suite de l’occupation des Ter­ri­toires pales­ti­niens, et celle de Londres (novembre 2010) sur les com­pli­cités des entre­prises mul­ti­na­tio­nales dans le déve­lop­pement de la colo­ni­sation (voir rubrique sur le site de l’AFPS, www​.france​-palestine​.com), le Tri­bunal Russell sur la Palestine (TRP) vient de tenir sa troi­sième session au Cap, en Afrique du Sud, sur le thème “Les pra­tiques d’Israël envers le Peuple pales­tinien violent-​​elles l’interdiction inter­na­tionale de l’apartheid ? ».

Elle s’est déroulée dans un lieu hau­tement sym­bo­lique, le musée du 6e dis­trict de la ville du Cap, dis­trict mul­ti­cul­turel et mul­ti­racial jusqu’en 1966 où il a été déclaré « zone blanche » (« white groupe area »), ses 60 000 habi­tants non-​​blancs « relo­ca­lisés » dans de loin­taines zones eth­niques, et leurs habi­ta­tions détruites. Une fresque sur un mur du musée, repré­sentant la des­truction d’une de ces maisons par un bull­dozer, résonne étran­gement avec des scènes vues en Palestine.

Au vu des rap­ports d’experts juristes spé­cia­lisés en droit inter­na­tional et des témoi­gnages concor­dants, le jury, composé de per­son­na­lités inter­na­tio­nales connues pour leur inté­grité morale, a conclu à l’existence d’un régime sys­té­ma­tique et ins­ti­tu­tion­nalisé de domi­nation d’un groupe racial sur un autre, incluant des actes inhu­mains commis à l’encontre du groupe dominé, et qua­lifié d’apartheid selon les cri­tères définis par le Droit inter­na­tional. Ce régime prend des formes et des inten­sités dif­fé­rentes selon les lieux de rési­dence des Pales­ti­niens mais il est constitué à l’égard de tous (Israël, Ter­ri­toires Occupés/​TO, dont Gaza, et réfugiés). Son maintien interdit au peuple pales­tinien d’exercer son droit à l’autodétermination. Le jury a également retenu la com­mission du crime de per­sé­cution, défini comme une pri­vation inten­tion­nelle et grave des droits fon­da­mentaux d’un groupe iden­ti­fiable, dans le cadre d’attaques larges et sys­té­ma­tiques contre des popu­la­tions civiles.

Le Tri­bunal a donc appelé l’Etat d’Israël à déman­teler ce système d’apartheid, à mettre fin aux lois et pra­tiques dis­cri­mi­na­toires et à arrêter la per­sé­cution des Pales­ti­niens. Il a appelé tous les Etats à user de tous moyens à leur dis­po­sition, y compris l’imposition de sanc­tions, pour mettre fin à cette situation illégale ; le Pro­cureur de la Cour pénale inter­na­tionale à recevoir la plainte déposée par l’Autorité pales­ti­nienne sur les crimes constatés ; la Palestine à adhérer au statut de Rome de la Cour pénale inter­na­tionale ; l’Assemblée générale des Nations Unies à réac­tiver le Comité spécial contre l’apartheid ; et le Comité pour l’élimination des dis­cri­mi­na­tions raciales à mettre l’apartheid à l’ordre du jour de son examen d’Israël en 2012. Il a enfin appelé la société civile à déve­lopper la soli­darité, notamment en faisant connaître ces conclu­sions à ses Par­le­ments nationaux et par le moyen de la cam­pagne Boycott, Dés­in­ves­tis­sement, Sanc­tions (BDS).

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Le jury siégeant au musée du 6e district

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Desmond Tutu

Cette décision a conclu une session riche en infor­ma­tions tant théo­riques que fac­tuelles mais aussi en émotions. Elle a été ouverte par Pierre Galand, S­phane Hessel, Ambas­sadeur de France et Pré­sident d’honneur du TRP et Mgr Desmond Tutu, arche­vêque émérite du Cap, prix Nobel de la Paix. Celui-​​ci nous a fait part avec beaucoup d’émotion de qu’il avait vécu en Afrique du Sud et de ce dont il a été témoin lors de ses voyages en Palestine. Il a parlé, non en homme poli­tique mais en tant qu’être humain et nous a exprimé sa pro­fonde tris­tesse, sa douleur, son angoisse, devant la répé­tition en d’autres lieux, d’actes déshumanisants.

Des experts en Droit inter­na­tional sont ensuite venus spé­cifier le cadre juri­dique de réfé­rence (rap­ports sur http://www.russelltribunalonpalesti...) au travers notamment de deux textes essen­tiels, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de dis­cri­mi­nation raciale de 1965 (signée par Israël) et la Convention inter­na­tionale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid de 1973, qui s’applique à tous (erga omnes), signa­taires et non signa­taires, comme une norme impé­rative reconnue et acceptée par l’ensemble de la com­mu­nauté inter­na­tionale (jus cogens). La liste des cri­tères carac­té­risant le crime d’apartheid telle qu’elle est donnée par cette der­nière convention est indi­cative et il n’est pas exigé que tous ces cri­tères soient remplis pour carac­té­riser le crime. L’Afrique du Sud elle-​​même, ne les satis­faisait d’ailleurs pas tous à l’époque. Les notions de « race » et de « dis­cri­mi­nation raciale » ont également été définies, le groupe racial étant un groupe humain iden­ti­fiable, davantage socio­lo­gique que bio­lo­gique, et pouvant impliquer une auto-​​identification. Il a été établi que l’on pouvait iden­tifier comme deux groupes raciaux dis­tincts, les « Juifs israé­liens » et les « Palestiniens ».

John Dugard, Sud-​​Africain, pro­fesseur de Droit inter­na­tional, qui a été rap­porteur spécial sur les droits humains dans les ter­ri­toires pales­ti­niens à l’ONU, et rap­porteur spécial de la Com­mission des droits de l’homme de l’ONU et de la Com­mission de Droit inter­na­tional, a défini les trois piliers de l’apartheid : la dis­cri­mi­nation, l’oppression et la frag­men­tation du ter­ri­toire, qui tous trois sont pré­sents en Israël et dans les TO.

C’est dans ce cadre qu’ont été ensuite entendus de nom­breux témoins, témoi­gnant des textes et des faits sus­cep­tibles de carac­té­riser les crimes d’apartheid et de per­sé­cution envers les Pales­ti­niens, dans les TO comme en Israël : entraves à la liberté, la dignité et la justice, des­truc­tions de toutes sortes, refus d’accès à la terre et aux res­sources natu­relles, res­triction d’accès aux éléments de base de la vie (élec­tricité, nour­riture, eau, santé, éducation, logement), entraves à la cir­cu­lation des biens et des per­sonnes, trans­ferts de popu­lation, assas­sinats à large échelle ou ciblés, torture et trai­te­ments dégra­dants des pri­son­niers, pri­vation sys­té­ma­tique des droits humains, empê­chant les Pales­ti­niens, y compris les réfugiés, d’exercer leurs droits poli­tiques, écono­miques, sociaux et culturels, frag­men­tation ter­ri­to­riale, création de réserves et d’enclaves qui séparent les Pales­ti­niens et les Israé­liens, appli­cation d’une légis­lation dif­fé­rente aux deux groupes raciaux aussi bien en Israël que dans les TO.

Il apparaît que toutes ces mesures ne consti­tuent pas un ensemble de mesures dis­pa­rates et plus ou moins indé­pen­dantes, mais qu’elles forment au contraire un corpus coor­donné, initié au plus haut niveau de l’état (« poli­tique démo­gra­phique » par ex.) depuis la création de l’Etat d’Israël et mis en œuvre par des corps étatiques ou semi-​​étatiques (dont l’armée dans les TO ou l’Agence juive, le Fond national juif, les muni­ci­pa­lités en Israël). Il s’agit donc bien d’une poli­tique sys­té­ma­tique et ins­ti­tu­tion­na­lisée de dis­cri­mi­nation, de domi­nation et de persécutions.

John Dugard a relevé, s’agissant des TO, que le régime d’apartheid d’Afrique du Sud dis­cri­minait parmi ses propres nationaux pour les séparer tandis que le régime d’occupation israélien dis­crimine un peuple sur un ter­ri­toire étranger, qu’il contrôle. Mais son expé­rience l’amène à consi­dérer qu’en pra­tique, les situa­tions sur le terrain sont très com­pa­rables. Il signale aussi que l’apartheid sud-​​africain, assumé, était mis en œuvre par des lois bru­tales mais trans­pa­rentes, au contraire des TO où il repose sur des lois mili­taires, non ou peu écrites, dis­si­mulées, ce qui le rend beaucoup plus dif­ficile à carac­té­riser. S’agissant des Pales­ti­niens d’Israël, Haneen Zoabi, députée arabe à la Knesset, a fait valoir que le trai­tement dis­cri­mi­na­toire qui leur est fait est la preuve que la domi­nation raciale d’Israël n’est pas seulement liée à l’occupation mais fait partie inté­grante du système idéo­lo­gique d’Israël, le sio­nisme, dont la base est la judéité. Le système ne res­semble à une démo­cratie qu’en appa­rence. Il y a une citoyenneté pour les Juifs d’Israël et un statut de résident pour les non-​​Juifs. Ils ont un pas­seport israélien, mais leur origine y est indiquée (natio­nalité). Tout un ensemble de textes légis­latifs permet de traiter de façon dif­fé­rente les Juifs et les autres, sur le plan foncier comme pour tous les pri­vi­lèges réservés aux Juifs (souvent liés à l’exécution du service mili­taire, que ne font pas les Pales­ti­niens). De façon poi­gnante, elle nous explique qu’on veut lui imposer un serment d’allégeance à un « Etat juif », qui ne la définit que comme une non-​​juive n’ayant pas sa place dans cet Etat qui est pourtant sa patrie (« homeland »).

Jeff Halper (Israélien - ICADH) a sou­ligné que l’apartheid, en Israël est offi­ciel­lement pra­tiqué par l’utilisation du mot hébreu « hafrada » qui signifie « acte de séparer » appliqué à de nom­breux textes et pra­tiques, dont le mur, au sein d’une entité où les Israé­liens ne voient pas de fron­tières, de la Médi­ter­ranée au Jourdain, entité qu’il convient de « judaïser ».

L’élément clé qui est res­sorti de tous ces témoi­gnages est le rôle central de la notion de « caractère juif de l’Etat d’Israël », étendu aussi aux TO (Gaza non compris) au moyen d’un arsenal juri­dique variable, lois mili­taires et dis­cri­mi­na­toires dans les TO, lois au profit d’une natio­nalité juive pour les Juifs du monde entier en Israël, autour de laquelle s’articulent les droits – et les non-​​droits – des non-​​Juifs, par­ti­cu­liè­rement des Palestiniens.

En outre, lors d’une inter­vention remar­quable, Marianne Blume (pro­fes­seure belge ayant tra­vaillé dix ans à l’Université Al Azhar de Gaza), a mis en évidence que, au-​​delà des faits eux-​​mêmes, qui peuvent res­sortir du crime d’apartheid, il s’agit en réalité d’une poli­tique déli­bérée et coor­donnée de des­truction d’un groupe dans toutes ses dimen­sions, poli­tiques, sociales, écono­miques, fami­liales, cultu­relles, carac­té­risant un « sociocide ».

Cette mise en pers­pective des pra­tiques dis­cri­mi­na­toires, de domi­nation et de per­sé­cution à l’encontre des Pales­ti­niens, non pas comme un objectif en soi, mais comme un ins­trument destiné à leur extinction en tant que groupe racial, ayant aussi été abordée par d’autres témoins, nous, signa­taires, nous per­mettons de regretter que le jury n’ait pas jugé per­tinent de la reprendre dans ses conclu­sions. Cela n‘aurait en rien dis­qua­lifié le crime d’apartheid.

Invité à par­ti­ciper à cette session et à se défendre, le gou­ver­nement israélien n’a pas jugé utile de répondre à cette invitation.

Cette der­nière séance a été marquée par deux inci­dents, le piratage du site web du Tri­bunal d’une part et, d’autre part et surtout, la menace de retrait de la citoyenneté israé­lienne à Haneen Zoabi par ses propres col­lègues de la Knesset. Le jury a prié le gou­ver­nement sud-​​africain, en sa qualité d’hôte du TRP, de s’assurer qu’aucune forme de repré­sailles ne soit exercée par l’Etat d’Israël contre les témoins pré­sents lors de ses travaux.

La session finale du TRP aura lieu à New York et aura pour objet d’examiner la res­pon­sa­bilité des Etats-​​Unis et celle des Nations Unies dans la pour­suite de l’occupation des Ter­ri­toires pales­ti­niens et la com­mission des crimes retenus à la charge de l’Etat d’Israël. Fina­lement, le Jury se réunira pour faire la syn­thèse de l’ensemble des ses­sions et en tirer les conclu­sions. Celles-​​ci consti­tueront la contri­bution des opi­nions publiques inter­na­tio­nales à la solution d’une situation injuste et illégale à l’égard d’un peuple afin de tenter de forcer le cours de l’Histoire.

La session du Cap du TRP a été en grande partie financée par le rever­sement de droits d’auteur de S­phane Hessel pour son petit livre « Indignez-​​vous ». Pour la qua­trième session, nous ne pourrons pas béné­ficier de cet avantage, et nous devrons compter sur les dons des mili­tants. Nous vous appelons à y contribuer en adressant vos chèques à vos groupes locaux qui transmettront.


http://www.france-palestine.org/Com...


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