Fuir Gaza ou mourir… Fuir les bombardements, bien sûr. Fuir, aussi, une situation sociale et écologique explosive. Si seulement les familles de Gaza avaient le choix. Sauf que depuis des années, elles ne l’ont pas.
En 2012, bien avant cette dernière guerre israélienne, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (Ocha) se demandait si Gaza serait encore un territoire vivable en 2020. Un espace très réduit dans lequel vit une population en croissance rapide, des équipements collectifs insuffisants, voire inexistants, une dépendance économique, alimentaire et énergétique vis-à-vis de l’extérieur, et surtout, à très court terme, une pénurie d’eau potable : tels sont les problèmes auxquels les dirigeants et les habitants de ce territoire doivent faire face. Devenus encore plus insurmontables à cause des conséquences tragiques de l’opération « Bordure protectrice », troisième guerre en moins de sept ans, ces problèmes ne pourront être résolus sans une véritable ouverture politique, non seulement dans la bande de Gaza mais aussi en Cisjordanie.
En 2020, la population de la bande de Gaza, qui compte actuellement 1,8 million d’habitants, devrait dépasser les 2,1 millions. Sur ce territoire de 365 km2, la densité devrait atteindre 5 835 [1]. habitants au km2, voire 6 500 si la zone interdite, imposée par l’État d’Israël à l’intérieur de la bande, tout le long de sa frontière terrestre avec Gaza, est maintenue. Cette concentration de population n’est pas due au hasard. Elle est le résultat de la Nakba, (la « catastrophe »), qu’a entraînée la création de l’État d’Israël, en obligeant les Palestiniens à fuir. Les deux tiers des Gazaouis sont des réfugiés, ou des descendants de ceux qui vivaient dans ce qui est devenu l’État d’Israël en 1948. À titre de comparaison, la densité du nouvel État d’Israël [2]. Les derniers chiffres disponibles en anglais datent de 2009. était, en 2009, de 328 habitants au km2.
En 2012, 51 % de la population de Gaza avait moins de 17 ans. Compte tenu du taux de fertilité de ses femmes, actuellement de 4,9, et malgré une baisse prévisible, dans quinze ou vingt ans, la population de la bande de Gaza représentera sans doute la moitié de ce que représente la population juive d’Israël (dont, en 2009, 32,9 % avait moins de 19 ans). Une telle croissance dans un territoire aussi exigu a entraîné une augmentation du taux d’urbanisation. Celui-ci devrait s’élever à 95,5 % en 2015.
Le manque d’espace, non seulement pour la construction de logements, mais aussi pour tous les équipements publics, est un état de fait indéniable. En 2012, il manquait déjà 71 000 unités de logement et 250 classes dans les écoles. D’ici 2020, il faudrait en construire pratiquement le double. Jusqu’à la fin de la dernière année scolaire, 85 % des écoles étaient déjà utilisées par deux équipes. Où va-t-on trouver l’espace disponible pour ces nouvelles constructions ?
Il faut, en outre, stocker les millions de m3 de gravats provenant des dernières destructions, et installer temporairement les tentes nécessaires pour abriter les centaines de milliers de gens actuellement réfugiés dans les écoles et autres bâtiments publics (365 000 selon l’Ocha, au 15 août dernier). Les terres agricoles sont déjà insuffisantes, souvent volontairement dévastées par les bulldozers de l’armée israélienne, ou situées en zone interdite.
Avant la tragédie qui vient de se produire, le produit intérieur brut par personne de la bande de Gaza était inférieur à ce qu’il était il y a vingt-cinq ans. Le siège/blocus de la bande de Gaza, décidé en 2007 pour punir le Hamas d’avoir pris le pouvoir, à la suite de sa victoire lors des élections – démocratiques – de 2006, en est la cause. Il a eu des conséquences graves sur l’économie locale, accroissant fortement le chômage et la pauvreté. Partiellement compensée, un temps, par l’économie des tunnels sous la frontière égyptienne, cette économie n’a désormais plus aucune bouée de sauvetage, du fait de l’alliance objective entre le nouveau président égyptien, le maréchal Abdel Fattah al-Sissi, et le gouvernement israélien.
Parmi les 5 millions de réfugiés palestiniens au Moyen-Orient, une grande partie reçoit des distributions alimentaires de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, dont le budget est abondé par la communauté internationale, à l’exception de l’État d’Israël. Malgré ces distributions alimentaires, qui vont aux deux tiers de la population, 44 % de celle-ci était en insécurité alimentaire avant même l’opération « Bordure protectrice ».
Aujourd’hui, c’est 72 % de la population de la bande de Gaza qui se trouve en insécurité alimentaire.
Aujourd’hui, c’est 72 % de la population – en premier lieu, les 365 000 personnes déplacées et sans abri – qui se trouve en insécurité alimentaire. La production locale de volaille a été détruite pour moitié. Ce qui en reste est menacé en raison des difficultés à les nourrir. Il en va de même pour le bétail. Le siège/blocus est étendu à la façade maritime : la zone de pêche, limitée à 3 miles marins, interdit aux pêcheurs (dont le nombre a été divisé par trois ces dernières années) de fournir les protéines qu’ils procuraient autrefois.
D’énormes investissements sont nécessaires dans les domaines de l’eau et de l’assainissement. Selon les rapports de la Banque mondiale et du Programme des Nations unies pour l’environnement, la situation est critique : « Sans cours d’eau pérenne et avec de faibles précipitations, Gaza dépend presque complètement de l’aquifère [3]]. côtier ». Celui-ci se recharge annuellement d’environ 50 à 60 millions de m3 d’eau, alors que les pompages représentent environ 160 millions de m3, c’est-à-dire près de trois fois plus. Le niveau de la nappe phréatique baissant, l’eau de la Méditerranée voisine s’y infiltre. « La salinité a ainsi atteint un niveau supérieur aux normes de l’Organisation mondiale de la santé [OMS] pour l’eau potable. » La contamination de l’aquifère est aggravée par les nitrates provenant des eaux usées non traitées et par les engrais utilisés par l’agriculture.
Déjà, en 2012, « 90 % de l’eau provenant de l’aquifère était impropre à la boisson sans traitement ». La disponibilité en eau propre est ainsi limitée, pour la plupart des Gazaouis, à une moyenne de 70 à 90 litres par personne et par jour (selon les saisons), ce qui est en dessous de la norme standard de l’OMS : 100 litres par personne et par jour. L’aquifère pourrait devenir inutilisable dès 2016, avec des dommages irréversibles vers 2020. Le Programme des Nations unies recommandait de cesser immédiatement tout pompage. Or les prévisions de consommation en 2020 atteignent 260 millions de m3 d’eau !
En ce qui concerne le traitement des eaux usées, la situation est tout aussi problématique. Seuls 25 % des eaux usées étaient traitées avant les dernières destructions. Un cloaque d’une quinzaine d’hectares a débordé l’hiver dernier lors d’une inondation. 90 000 m3 d’eau non traitée ou insuffisamment traitée sont rejetés quotidiennement dans la mer, avec toutes les conséquences que cela peut avoir sur la pollution et la santé. Et la pêche ne peut se faire que dans une limite de 3 miles du rivage…
90 000 m3 d’eau non traitée ou insuffisamment traitée sont rejetés quotidiennement dans la mer.
En matière d’énergie, avant les dernières destructions qui ont entraîné l’arrêt de la seule centrale électrique de la bande de Gaza, les habitants faisaient régulièrement face à des coupures de courant affectant tous les secteurs d’activité. Ceux qui le pouvaient, notamment les hôpitaux et les écoles, se sont équipés de générateurs. La capacité maximale de fourniture en électricité atteignait alors 242 MW, avec une demande de 350 MW (qui devrait atteindre 550 MW en 2020). Le système de distribution est obsolète. La bande de Gaza importe d’Israël la moitié de son électricité.
Les réparations de la centrale électrique actuelle, d’une capacité de 100 MW, devraient prendre une année, tandis que la reconstruction va demander des moyens supplémentaires en énergie. Sur le long terme, grâce aux champs gaziers trouvés au large de ses côtes, Gaza devrait pouvoir être autosuffisant, pour autant qu’Israël ne les confisque pas.
Parmi les conséquences de « Bordure protectrice », 365 000 personnes sont à reloger, 17 000 logements sont détruits ou inutilisables, 5 600 partiellement inhabitables et 33 600 ont subi des dommages. « Au moins 373 000 enfants ont besoin d’un soutien psychologique direct. Ces enfants montrent des signes croissants de détresse : énurésie [4]]., refus de quitter les parents, cauchemars. Il est probable que tous les enfants de la bande de Gaza sont affectés par cette crise et devraient recevoir quelque soutien psychologique » écrivait l’Ocha dans son rapport du 15 août dernier sur la situation à Gaza. La terreur des enfants ne disparaîtra pas avec la trêve. Elle n’arrêtera pas les drones de surveillance et leur sifflement caractéristique, ni le passage d’avions à réaction qui crèvent trop souvent le mur du son.
L’armée israélienne a tiré plus de 32 000 obus, sans compter des milliers de missiles. Un certain nombre n’a pas encore explosé. C’est quatre fois plus d’obus que lors de l’opération « Plomb durci » de 2008-2009. Les conséquences matérielles et psychologiques de cette guerre seront très longues à cicatriser. Le financement d’urgence demandé par l’Ocha atteint déjà 373 millions de dollars, montant qui ne prend pas en compte la reconstruction matérielle et psychologique ni les soins de longue durée des 1 000 enfants ayant subi une infirmité à vie, comme l’indique le dernier rapport de l’Ocha du 20 août 2014.
« La trêve est inutile tant que Gaza restera une prison », Mgr Fouad Twal
Ne doit-on pas se demander pourquoi l’Union européenne et la communauté internationale devraient, encore une fois, participer à cette reconstruction, et laisser ainsi 2 millions de personnes dans un territoire invivable, sans ouverture vers l’extérieur ? Sans réelle solution politique équitable, une quatrième guerre est inévitable. « La trêve est inutile tant que Gaza restera une prison », écrivait, le 4 août dernier, Mgr Fouad Twal, patriarche de Jérusalem.
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