Plateforme des ONG Françaises pour la Palestine

Campagne de la Flottille de la Liberté – Une interview de Claude Léostic

29 août 2018

Après la dernière tentative menée par la Campagne « Freedom Flotilla » [Flottille de la Liberté] pour briser le blocus illégal et inhumain de Gaza, nous avons interviewé Claude Léostic, une des principales animatrices de cette campagne en France.



Chronique de Palestine : Claude, peux-tu te présenter en quelques mots, et parler de ton implication dans le mouvement de solidarité avec la Palestine ?

Claude Léostic  : Impliquée de très longue date dans le mouvement de solidarité avec la Palestine (AMFP puis AFPS). je suis depuis 2011 présidente de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine. J’ai vécu 2 ans en Palestine occupée durant la deuxième intifada, organisant et accueillant les missions françaises et internationales en concertation avec des ONG palestiniennes. A ce titre j’ai amené une trentaine d’internationaux à la Muqata’a en 2002 pour servir de protection au président Arafat qui y était assiégé J’ai participé à différentes missions liées spécifiquement à Gaza dont la Flottille de la Liberté, notamment en 2011 où nous avons mis sur pied une campagne « un bateau français pour Gaza »

CP : Tu as participé activement à la dernière tentative de « la Flottille de la liberté » pour briser le blocus de Gaza. Peux-tu nous retracer sa préparation, ses objectifs et aussi ses initiateurs ?

CL : Comme les années passées, la Coalition internationale de la Flottille de la Liberté a organisé en 2018 une mission pour tenter de briser le blocus illégal de la bande de Gaza.Quand bien même nous n’avons plus de « campagne bateau » en France depuis 2011, je suis restée très proche des organisateurs, j’ai coordonné à chaque mission depuis 2011 l’accueil des flottilles en France et je participe aux échanges et débats du Comité de pilotage. C’est donc logiquement que j’ai présenté cette année le projet 2018 aux deux structures françaises héritières de la « Campagne bateau 2011 » : la Plateforme et le Collectif national Palestine. Avec leur accord pour un soutien logistique, financier et de communication, j’ai pris contact avec des groupes (AFPS, Comités Palestine locaux, Corsica Palestina) pour organiser des escales dans leurs villes. Ce fut la Rochelle pour les bateaux qui prenaient la mer et Paris, Lyon, Avignon, Marseille et Ajaccio pour les voiliers qui empruntaient les voies fluviales. Les groupes locaux ont accueilli superbement bateaux et équipages !

CP : Quel a été l’accueil de la « Freedom Flotilla » dans les différents ports où elle a pu accoster durant son périple ?

CL
 : A chaque fois, les militant.e.s locaux ont organisé des événements autour de l’escale : conférences, concerts, visites des bateaux donnant lieu à de nombreux échanges et explications. L’accueil a toujours été chaleureux, de la part des citoyen.ne.s solidaires bien sûr mais aussi du public et souvent des autorités locales. Les bateaux venus de Scandinavie ont fait escale dans une quinzaine de ports de 10 pays, et partout, de Norvège en Italie, l’accueil fut extrêmement favorable. Le seul bémol fut Paris,où un décideur quelconque (nous n’avons jamais eu de réponse à nos nombreuses questions, particulièrement sur le niveau de décision qui semble bien monter jusqu’au ministère de l’Intérieur) a refusé de laisser nos voiliers accoster sur la Seine. Les militant.e.s, le public, les élu.e.s et personnalités qui nous attendaient sous l’Institut du Monde arabe, dont Jack Lang son président, ont vu les zodiacs de la brigade fluviale nous empêcher avec violence d’approcher de la berge et nous contraindre à nous éloigner bien en amont. Une honte pour la France et Paris.

CP : Cela fait maintenant dix ans que les tentatives de briser le blocus par mer s’enchaînent les unes ou aux autres. Alors que deux bateaux avaient réussi leur opération à l’été 2008 en accostant à Gaza, depuis toutes les tentatives se sont avérées infructueuses. Pourquoi alors maintenir ces initiatives ?

CL
 : L’objectif affiché – et réel – de la Flottille est d’arriver à Gaza, de brisPhoto : Freedom Flotillaer le blocus illégal qui depuis 12 ans vise à étrangler les deux millions de civils qui vivent – survivent – dans la bande de Gaza. Après 2008 et l’appel d’air induit par le passage des bateaux de « Free Gaza », les autorités d’occupation ont décidé d’interdire tout accès maritime de la Palestine et de maintenir un blocus qui s’est durci et est devenu hermétique au fil du temps. En 2009, lors de la première mission de la « Coalition de la Flottille de la Liberté », plusieurs bateaux ont pris la mer, dont le grand navire turc, le Mavi Marmara. Les commandos israéliens les ont attaqués de nuit et ont assassiné 10 personnes à bord du Mavi dont ils se sont emparés ainsi que des autres bateaux. Le message israélien était clair : à Gaza, « on ne laissera personne vous aider ». Aux internationaux : « on vous tuera si vous essayez à nouveau ». Dissuasion par la violence armée et le crime. Mais ça n’a pas marché et nous sommes repartis, en 2011, 2012, 2014, 2015 et 2016. A chaque fois la marine de guerre israélienne a attaqué la flottille, volé les bateaux et leur cargaison, kidnappé les personnes à bord. C’était en haute mer, ce sont donc des actes de piraterie avérés, des violations – encore – du droit international et du droit maritime.

Alors pourquoi continuer ? Parce que ces flottilles sont des plateformes politiques sur l’eau, qui ont certes pour objectif concret d’arriver à Gaza mais dont le rôle essentiel se manifeste sans doute aux escales : tout le travail d’explication, de communication, de dénonciation de ces violations du droit et de la situation inacceptable imposée aux Palestiniens de Gaza, le contact avec les médias, l’expression de la solidarité des peuples avec un peuple opprimé et occupé. C’est ce qui a fait dire à un participant néo-zélandais à cette mission 2018 : « nous avons gagné bien que nous n’ayons pas brisé le blocus ». La violence des réactions israéliennes démontre que nous avons raison de continuer. Et puis, on ne peut pas abandonner les Palestiniens de Gaza à la violence de ce blocus, à l’injustice de l’occupation. En 2016 une militante des États-Unis à bord du Bateau des Femmes pour Gaza déclarait : « bien sûr que j’ai peur. mais j’aurais encore bien plus peur de ne rien faire ».

Cette fois 34 personnes de 12 pays ont choisi d’avoir peur plutôt que de laisser faire.

CP : Lors de la tentative de cet été, la marine militaire israélienne a non seulement renouvelé ses actes de piraterie dans les eaux internationales en abordant et détournant les deux bateaux de la « Flottille de la Liberté », mais elle a fait preuve d’un comportement particulièrement brutal, violent à l’encontre des deux équipages. Cela peut-il être interprété comme le signe d’un sentiment d’impunité plus fort que jamais pour l’occupant israélien ?

CL : Cette année, deux bateaux seulement ont pu aller au bout de la mission, le al-Awda (le Retour, en référence aux réfugiés dont le droit au retour est bafoué depuis 70 ans et qui forment la grande majorité de la population de Gaza), un ancien chalutier norvégien, et le Freedom un superbe vieux voilier suédois. Le Falestine, victime d’avarie dans une tempête a dû renoncer.

Attaqués l’un et l’autre à respectivement 42 et 49 milles marins de la côte de Gaza, ils ont été abordés par des dizaines de soldats israéliens surarmés Si sur le Freedom, l’attaque n’a pas induit de violence physique contre les 12 personnes à bord, il en a été autrement de al-Awda. Les soldats ont violemment frappé plusieurs des 22 personnes dont le capitaine, Herman et le second, Charlie. Ils ont fait usage de tasers et projeté des personnes au sol ou contre les murs. Plusieurs de nos camarades ont des côtes cassées (et un pied aussi), dont le médecin du bord, une chirurgienne malaise qui vit et travaille à Londres, un petit bout de femme de 69 ans aussi frêle qu’elle est courageuse. Quel danger pour Israël ! Cette violence témoigne de la hargne d’Israël à l’encontre de la solidarité internationale avec la Palestine. De l’impunité aussi, oui. Deux Français étant à bord de la flottille (Sarah qui représentait nos associations, sur al-Awda, et Pascal, syndicaliste et marin, sur Freedom), j’ai demandé à M. Macron d’assurer leur protection et celle de la flottille. Aucune réponse, aucune action. M. Macron semble bien ne rien avoir à faire du droit international. Ses intérêts sont ailleurs. Une honte à nouveau pour la France.

CP : Qu’est-il advenu des deux bateaux détournés, et de leurs cargaisons ? Le tout a-t-il ou peut-il être récupéré ?

CL : Les bateaux, destinés aux pêcheurs de Gaza, ont été illégalement amenés en Israël, les personnes aussi, contre leur volonté, littéralement kidnappées en eaux internationales, puis détenues dans une prison israélienne – dans des conditions difficiles – avant d’être déportées dans leurs pays respectifs. Nous avions à bord du matériel médical pour Gaza. On sait à quel point il manque, sous blocus, et au vu de la sanglante répression israélienne de la Marche du Retour. Les médecins épuisés n’arrivent plus à faire face aux milliers de blessés graves, tout manque dans les hôpitaux. Ce matériel a été volé, comme nos bateaux. Il se trouve à Ashdod, dans un entrepôt israélien. Nous avons exigé qu’il soit remis à ses destinataires (l’association MyCare qui doit le remettre aux services de santé palestiniens) comme le droit le prévoit. Toujours rien.

CP : Existe-t-il des moyens de recours juridiques auprès d’instances internationales face aux actes de piraterie en mer perpétrés par l’occupant israélien ? Et si oui, pensez-vous vous en saisir ?

CL  : Dans l’hypothèse très probable d’un nouvel acte de piraterie par Israël, nous avions des avocats prêts à intervenir sur place, ce qui fut fait. Nos partenaires ont ainsi pu garantir à la fois la sécurité de nos camarades et leur libération ainsi que leurs revendications : que les bateaux et la cargaison leur soient remis et qu’ils puissent reprendre leur route vers Gaza où on les attendait dans l’inquiétude et l’espoir à la fois. Nous étudions maintenant, avec ces avocats (un cabinet israélien et un cabinet palestinien) les recours légaux possibles. Plusieurs personnes vont aussi porter plainte dans leurs pays respectifs. Lors de missions précédentes, certains procès ont débouché sur la condamnation de l’armée et la restitution des bateaux ou le dédommagement, comme pour l’Estelle de la mission 2012.

CP  : Quel bilan peut-on tirer de cette dernière tentative de forcer le blocus de Gaza ? Et la communication autour de cet type d’initiative pourrait-elle être améliorée ?

CL : Nous n’avons pas concrètement brisé le blocus, une fois encore. De même les Palestiniens qui tentent de sortir de Gaza n’y arrivent pas, ils sont systématiquement attaqués, les bateaux volés et les hommes emprisonnés. Il est clair que pour l’extrême-droite au pouvoir à Tel-Aviv, Gaza est une ligne rouge et qu’on ne la franchit qu’en prenant des risques réels. Néanmoins, comme je le soulignais, les escales sont l’enjeu de communication le plus important( sauf si nous arrivions à atteindre Gaza !) Les événements organisés permettent d’atteindre un public différent, souvent peu au fait de l’injustice commise par Israël. La bataille de la communication est loin d’être gagnée bien sûr car les grands médias – tous informés plusieurs fois par nos attachées de communication AFPS et Plateforme Palestine, et j’en profite pour les remercier ici – répondent par le silence. Sur les réseaux sociaux par contre, l’information a beaucoup circulé et nous avons reçu beaucoup de soutiens, de personnes, de syndicats et de partis de gauche. Mais il faudrait trouver un moyen de toucher l’opinion publique large, par l’intermédiaire de ces grands médias justement, pour contrer l’indifférence, voire la complicité de notre exécutif et des politiques dans leur ensemble pour qui les intérêts géostratégiques, communs avec Israël, priment sur le droit et la justice. A nous de ne pas lâcher.

CP : Du point de vue des perspectives, cette dernière opération sera-t-elle prochainement renouvelée ?

CL : Nous allons bien sûr faire un bilan précis de cette action et décider de la suite ensemble. Ce qui est certain c’est que la solidarité avec Gaza, et toute la Palestine, ne faiblira pas. Nous ne renoncerons pas à signifier au gouvernement israélien que nous ne le laisserons pas installer le huis-clos pour commettre ses crimes odieux. Nous dirons aussi à nos dirigeants que leur silence est au mieux un aveu de faiblesse devant un État en voie de fascisation, comme l’expliquent nos ami.e.s en Israël, et en réalité une complicité passive avec des criminels, ce que refusons d’accepter. Cette année nous avions appelé la mission « pour un avenir de justice pour la Palestine ». La Coalition continuera d’accompagner la résistance légitime des Palestiniens à l’occupation illégale de leur terre, de leur mer et de leurs ressources jusqu’à ce que la justice prévale.

Retrouvez toutes les informations sur la Campagne en France et sur la mobilisation internationale.

20 août 2018 – Propos recueillis par Chronique de Palestine


Chronique de Palestine

Claude Léostic (en médaillon sur la photo) est animatrice de la campagne « Freedom Flotilla » en France - Photo : Freedom Flotilla




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