Insaf Rezagui est doctorante en droit international public à l’Université Paris Cité et chercheuse associée au Centre Thucydide de l’Université Paris-Panthéon-Assas et à l’Institut français du Proche-Orient à Jérusalem. Ses travaux portent sur la stratégie de l’Autorité palestinienne de recours aux organisations internationales depuis 2009.
Infos Palestine : Comment l’Autorité palestinienne s’est-elle appropriée les outils de la justice internationale ?
Insaf Rezagui : Les prémices de l’appropriation des outils des juridictions internationales par l’Autorité palestinienne (AP) commencent lorsque la Cour internationale de Justice (CIJ) rend en 2004 un avis consultatif sur le Mur. Il s’agit de la première fois qu’une juridiction internationale met en avant les principes et règles applicables au conflit israélo-palestinien, notamment à propos de la légitime défense, de l’autodétermination du peuple palestinien, du droit humanitaire et du droit international des droits de l’Homme. Un processus de judiciarisation du conflit, à travers la CIJ et la Cour pénale internationale (CPI), commence alors. Cela s’inscrit dans une stratégie plus globale de l’Autorité palestinienne d’accéder à une reconnaissance d’un statut d’Etat en mobilisant les organisations internationales. Après l’échec du processus d’Oslo et la seconde Intifada, l’AP prend conscience de l’impossibilité de parvenir à une solution politique par l’intermédiaire de négociations directes. Fin janvier 2009, le ministre de la Justice palestinien transmet une déclaration de reconnaissance de la compétence de la CPI et demande au bureau du procureur d’ouvrir une enquête sur les allégations de crimes de guerre sur le territoire palestinien. Depuis lors, l’AP a déployé une stratégie de recours aux organisations internationales et aux juridictions internationales. Ces deux axes sont liés. L’octroi du statut d’Etat non-membre observateur à la Palestine par l’Assemblée générale de l’ONU en 2012 permet à l’AP d’adhérer aux traités et organisations internationales dont le Secrétaire général de l’ONU est dépositaire, comme le statut de Rome établissant la CPI.
Où en est l’enquête de la Cour pénale internationale portant sur les crimes commis en Palestine ?
En mars 2021, la procureure de la CPI Fatou Bensouda a annoncé l’ouverture d’une enquête sur la situation en Palestine. Pour la première fois, une juridiction internationale, indépendante et impartiale, va enquêter sur des allégations de crimes internationaux commis sur le territoire palestinien. Cependant, depuis cette annonce, aucune avancée n’a eu lieu. L’arrivée du nouveau procureur en juin 2021, Karim Khan, n’a pas permis d’avancées dans l’enquête. Aucun membre de son bureau ne s’est rendu en Palestine pour enquêter. Fin 2022, M. Khan s’est contenté d’annoncer son intention de « visiter » la Palestine en 2023. Le dossier palestinien, jugé trop sensible et épineux, semble être dépriorisé. A titre d’exemple, sur les dix enquêtes prioritaires de la CPI en 2023, la Palestine est celle qui bénéficie du plus petit budget (moins d’un million d’euros) et du staff le plus réduit (une personne). Le dossier ukrainien dispose d’un budget de 4,5 millions d’euros. Il revient aux Etats d’octroyer des fonds à la Cour. Or, ces derniers ont souvent des attentes politiques pour justifier leurs financements. Le rôle de la société civile est en cela important : il s’agit de faire pression sur les Etat parties à la Cour pour que ceux-ci soutiennent le travail de la CPI dans son mandat de lutte contre l’impunité, y compris en Palestine.
Quelle est la stratégie de recours à la Cour internationale de Justice par l’Autorité palestinienne ?
La CIJ est la première juridiction internationale à établir les grands principes et règles applicables au conflit israélo-palestinien, à affirmer qu’Israël empêche le peuple palestinien de s’autodéterminer et à fixer le cadre juridique de l’occupation militaire. En 2004, la construction du mur, qui empiète sur une large partie du territoire palestinien occupé, pousse l’Assemblée générale de l’ONU à interroger la Cour. La CIJ se prononce alors sur sa compétence, sur les questions liées à la légitime défense, sur le corpus juridique applicable, sur les violations des obligations internationales par Israël, ainsi que sur les obligations incombant à tous les Etats eu égard à ces violations. Il s’agit d’une avancée majeure sur le plan du droit international.
En 2018, la Palestine a en outre déposé une requête auprès de la CIJ contre les Etats-Unis au sujet du transfert de leur ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem, au titre de la Convention de Vienne de 1964. L’évolution du statut juridique de la Palestine a permis de mobiliser la fonction contentieuse de la Cour, ouverte aux seuls Etats. A ce jour, ce dossier n’a pas avancé, mais cela semble dû à des tractations officieuses entre l’Autorité palestinienne et les Etats-Unis.
Par ailleurs, en décembre 2022, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté une résolution demandant à la CIJ de rendre un avis consultatif portant sur les conséquences juridiques de la poursuite de l’occupation militaire israélienne sur la mise en oeuvre du droit du peuple palestinien à s’autodéterminer. La Cour a fixé un calendrier pour les procédures écrites et orales, invitant les Etats et les organisations internationales concernées par la question à produire des rapports. La procédure écrite vient d’être clôturée et l’AP a rendu son exposé. Il semble important que la France rende de nouveau un exposé afin d’établir sa politique juridique et politique, d’autant plus que la question posée est bien plus large qu’en 2004 et impose une réponse globale sur le conflit et l’occupation israélienne.
La stratégie de recours aux juridictions internationales a-t-elle été un succès pour la Palestine ?
Cette stratégie a permis à l’AP de renforcer sa présence sur la scène internationale et a fait avancer le statut juridique de la Palestine au sein des organisations internationales. Elle est cependant déconnectée de la réalité sur le terrain. La colonisation s’accélère, les conditions de vie et droits des Palestiniens se détériorent, et l’AP est délégitimée, en l’absence d’élections depuis 2006 et du fait de ses pratiques autoritaires. Le droit international peut être un formidable levier de mobilisation de la cause palestinienne, mais ne peut se suffire à lui-même.
Propos recueillis par Pierre Motin
Photo : la Cour pénale internationale, à la Haye. Crédits : Roel Wijnants / Flickr Creative Commons
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