L’armée israélienne a frappé ce week-end des installations militaires du Hamas.
Dans une main, il tient un pantalon en lambeaux. Dans l’autre, son Coran aux pages noircies et déchirées dans la déflagration de la veille. Fouad Gemziri, 60 ans, marche dans les ruines du bâtiment dont il assurait la surveillance. Ses sandales soulèvent la poussière grise. Cela faisait six mois qu’il s’occupait du gardiennage d’un immeuble vide de cinq étages. Un chantier arrêté depuis des années, sans portes ni fenêtres, qui devait abriter la bibliothèque nationale.
Cette carcasse de béton dans le quartier de Katiba, dans la ville de Gaza, a été visée samedi 14 juillet par l’aviation israélienne, au cours d’une journée intense d’échanges de tirs avec le Hamas. Deux adolescents de 15 et 16 ans qui se trouvaient sur le toit ont été tués. Une quinzaine d’autres personnes ont été blessées. Dans la ville de Sderot, trois Israéliens ont été blessés par une roquette.
Quelques heures plus tard, sous la pression de l’Egypte et de son directeur du renseignement Abbas Kamel, les factions palestiniennes acceptaient un cessez-le-feu, après vingt-quatre heures de dérapage contrôlé. « Nous étions hier au bord de la guerre », a déclaré le coordinateur spécial de l’ONU, Nikolaï Mladenov, en visite à Gaza dimanche pour promouvoir un plan humanitaire d’urgence.
Fouad Gemziri indique du doigt le périmètre de son ancienne guérite. Son employeur est l’administration de la prison voisine, qui comptait s’approprier les lieux. « On avait l’ordre de ne laisser personne entrer dans le bâtiment, dit-il. Vers 18 heures, les Israéliens ont fait des tirs de semonce. C’est alors que les deux jeunes qui étaient sur le toit pour prendre des photos ont été atteints. Nous, on s’est sauvés. » La mosquée contiguë a été touchée par la déflagration : toutes les vitres et les huisseries ont explosé, s’éparpillant sur le tapis rouge de prière aux bordures dorées.
Des hauteurs, la vue est parfaite sur l’esplanade qui s’étend devant le bâtiment. « C’est un lieu de loisir où les familles viennent se prélasser, surtout que c’est l’été et qu’il n’y a pas beaucoup d’alternatives à Gaza », explique Ziad Medoukh, directeur du département de français à l’université d’Al-Aqsa, venu en voisin constater les dégâts. Autour de cette esplanade se trouvent plusieurs bâtiments administratifs ainsi que les locaux de trois universités.
Armes du pauvre
Ce n’est pas le lieu le plus discret de Gaza. Et pourtant, selon l’armée israélienne, c’est dans cet immeuble vide de cinq étages que le Hamas avait installé un « centre d’entraînement pour guerre urbaine », avec un tunnel en dessous. Les autorités ont diffusé un clip promotionnel du Hamas montrant un commando lourdement armé en train de simuler un assaut dans le bâtiment. La vidéo daterait du mois de mars. Etait-ce pour autant une base permanente ? La cible importait sans doute moins que l’avertissement.
Cette frappe s’est inscrite dans une journée de vive tension entre l’armée israélienne et les factions palestiniennes. Du côté gazaoui, près de 200 tirs de roquettes et de mortiers ont été effectués en vingt-quatre heures, mettant en alerte toutes les communautés israéliennes frontalières.
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La veille, le 13 juillet, un officier israélien déployé le long de la clôture de Gaza avait été blessé au torse par un engin explosif. Cet épisode s’est ajouté à l’envoi quotidien de ballons à l’hélium et de cerfs-volants aux extrémités enflammées, brûlant plusieurs dizaines d’hectares de terres israéliennes. Des armes du pauvre, contre l’une des armées les plus sophistiquées du monde, qui provoquent la colère des civils israéliens et placent le gouvernement sous pression.
L’armée a donc décidé samedi, une nouvelle fois, de viser des installations militaires attribuées au Hamas. Le quartier général de son bataillon à Beit Lahia a été entièrement détruit. Selon Israël, il comportait des entrepôts d’armement, des centres de commandement, des installations pour l’entraînement. En outre, deux tunnels – au nord de la bande et au sud, près de Rafah – ont été visés. Mais malgré le nombre de tirs des deux côtés, les deux parties ont montré une certaine retenue, conscientes du risque d’embrasement. Dans un mélange de défi et de bluff qui fait craindre le pire pour la suite, personne ne veut donner le moindre signe de faiblesse.
« Interférences »
« L’armée a infligé au Hamas son coup le plus rude depuis [2014] », s’est réjoui Benyamin Nétanyahou lors du conseil des ministres dimanche, alors que certains responsables, comme le leader de la droite messianique Naftali Bennett, réclament une nouvelle opération d’ampleur à Gaza. « J’espère qu’ils ont reçu le message, sinon ils le recevront plus tard, a poursuivi le premier ministre israélien. J’ai entendu certains dire qu’Israël avait accepté un cessez-le-feu qui permettrait la poursuite du terrorisme par ballons et cerfs-volants incendiaires. C’est faux. Nous n’accepterons aucune attaque contre nous et nous répondrons de façon appropriée. »
Dans l’après-midi, en guise d’illustration, l’armée a annoncé que des drones avaient visé plusieurs groupes de Palestiniens équipés de ces objets volants. Mais il semble que l’état-major n’a pas accédé à la demande de M. Bennett : celui-ci voudrait que les lanceurs soient visés comme des terroristes, donc mis hors d’état de nuire.
Depuis avril, les factions se sont concentrées sur la « marche du grand retour », le long de la frontière, lors de laquelle près de 135 personnes ont été tuées et plus de 4 000 blessées par les soldats israéliens. Malgré ce bilan, le Hamas n’a pas répliqué militairement de façon massive. Mais l’utilisation des ballons incendiaires et des cerfs-volants – encouragée voire organisée par le mouvement islamiste – a modifié les lignes rouges de chacun.
Le gouvernement israélien n’envisage pas de cessez-le-feu solide sans un arrêt total des objets volants incendiaires. Les factions, elles, ne considèrent pas que ceux-ci relèvent d’un arsenal militaire. Elles prétendent qu’ils relèvent d’initiatives populaires. « On pourrait tout arrêter, affirme Daoud Shehab, porte-parole du Djihad islamique. Mais on veut pour cela une levée sans conditions du blocus, la fin des interférences israéliennes dans notre vie quotidienne. Sinon, celui qui arrêterait les cerfs-volants et les ballons serait considéré comme un traître. »
Visuel : camp de Jabalia, 30 juillet 2014, UN Photo
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