Si le combat des Ukrainiens bénéficie d’un large soutien international, celui offert aux Palestiniens luttant contre l’occupation est bien chiche, du moins sur le plan diplomatique, quand il n’est pas criminalisé, dénonce l’ex-président de Médecins sans frontières dans une tribune au « Monde ».
Cette tribune a été publiée originellement dans le quotidien le Monde
L’invasion de l’Ukraine par la Russie et la guerre qui s’en est suivie occupent le devant de la scène internationale, reléguant en coulisse la quasi-totalité du monde non européen. Un observateur naïf pourrait se réjouir, au vu de la vigueur des réactions occidentales à cette agression, que progresse le droit international, et donc le respect de la souveraineté dans ce qu’elle a d’inattaquable, à savoir l’intégrité territoriale qu’est censée protéger la Charte des Nations unies.
La Cour pénale internationale (CPI) a d’ailleurs dépêché, avec une inhabituelle célérité, une équipe de 42 enquêteurs afin de collecter les éléments de preuves de crimes de guerre. Qu’il déplace quelque peu son regard vers le Moyen-Orient, et notre observateur sera vite déçu, voire choqué. Ce qui vaut, à juste titre, réprobation, disgrâce et contre-attaques multiples dans le cas de la Russie n’attire, au mieux, que molles protestations de forme dans le cas d’Israël.
Ici, l’invasion, la dépossession, l’annexion ne conduisent pas à des sanctions. L’occupation militaire, la colonisation de territoires occupés, crime de guerre au quotidien et au ralenti, n’a fait l’objet que de timides démarches de la part de la CPI. Ici, les mots qui fâchent sont évités par les gouvernements occidentaux au profit de formulations usées jusqu’à en devenir anachroniques : face aux exactions de l’armée israélienne et des colons qu’elle protège, on fait mine de s’inquiéter de la mise en danger d’un « processus de paix » mort et enterré depuis plus de vingt ans, on ânonne son souhait d’une « solution à deux Etats », invocation rituelle desséchée, et l’on passe à autre chose.
Citoyens de second rang
Relevons cependant que le mot « apartheid » a fait, ces dernières années, son apparition dans le vocabulaire diplomatique occidental. Non comme une qualification applicable, mais comme un risque en cas de poursuite de la colonisation. Comme pour répondre à ces mises en garde, le gouvernement israélien a fait voter [en juillet 2018] la loi sur « l’Etat-nation d’Israël », qui crée des citoyens de second rang et dispose que « l’Etat considère le développement d’implantations juives comme une valeur nationale et fera en sorte de l’encourager et de le promouvoir ». Ce que le gouvernement Netanyahou a fait voter, officialisant une situation de fait datant des années 1970, le gouvernement Bennett le met en œuvre sans faillir. Rappelons cette phrase, prononcée par l’actuel premier ministre d’Israël [en 2013], au détour d’une interview : « J’ai tué beaucoup d’Arabes dans ma vie, ça ne pose aucun problème. » Ou encore, ailleurs [en 2012] : « Je ferai toujours tout ce qui est en mon pouvoir pour faire obstacle à un Etat palestinien sur la terre d’Israël. » On ne saurait être plus clair.
L’attaque des funérailles de la journaliste Shireen Abu Akleh, abattue le 11 mai lors d’un reportage à Jénine [en Cisjordanie occupée], en dit long sur la « poutinisation » de la société et de la politique israéliennes. Il fallait oser s’en prendre aux porteurs d’un cercueil, envoyer des nervis contre un enterrement. Ils l’ont fait, et sous l’œil des caméras, sans honte, comme un bras d’honneur adressé au monde. Pendant ce temps, saisies de terres, expulsions, destructions, arrestations administratives et blocus se poursuivent. Près de 350 Palestiniens sont tombés sous les balles israéliennes depuis janvier 2021.
Combat légitime
Les Ukrainiens mobilisés pour la souveraineté de leur pays mènent un combat légitime, pour lequel ils bénéficient d’un large soutien. Les Palestiniens résistant à l’occupation de leur pays ne sont pas moins légitimes, mais le soutien qui leur est dû est chiche, du moins au plan diplomatique, quand il n’est pas criminalisé. Salah Hamouri, avocat franco-palestinien œuvrant à la défense des prisonniers palestiniens, en sait quelque chose, pour avoir passé des années en prison, et maintenant en détention administrative, sans preuves, sans recours, sans soutien réel des autorités françaises.
Et que dire de la pénalisation du soutien au mouvement de « boycott, désinvestissement, sanctions » (BDS) lancé par des ONG palestiniennes en 2005 ? Rappelons que la circulaire Alliot-Marie de 2010 prescrivait de poursuivre les appels au boycott des produits israéliens en raison de leur supposé caractère discriminatoire. C’était en 2013, douze personnes furent condamnées en appel. Le dénouement de cette affaire est toutefois encourageant, puisque, dans son arrêt du 11 juin 2020, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a qualifié ces sanctions d’entrave à la liberté d’expression, entraînant l’annulation des condamnations. Si le ministre de la justice, Eric Dupond-Moretti, n’a pas jugé bon d’abroger la circulaire Alliot-Marie, le soutien au BDS n’est plus un délit. C’est à la CEDH, et non au gouvernement français, que nous devons cette avancée.
Les mesures de rétorsion prises à l’encontre de la Russie relèvent, stricto sensu, du « boycott, désinvestissement, sanctions ». C’est, notamment, au nom du respect du droit international que l’Europe les a adoptées. En ce même nom, elle ne peut se détourner des violations commises sous occupation militaire israélienne en Palestine. On attend d’elle, au minimum, qu’elle cesse l’importation de biens et services produits dans les colonies, sous peine d’entretenir une occupation qu’elle dénonce par ailleurs.
Une initiative citoyenne européenne, « #stopsettlements », est en cours. Elle vise à rassembler un million de signatures appelant à l’interdiction du commerce avec les colonies implantées dans les territoires occupés. Le succès de cette initiative obligerait la Commission européenne à inscrire cette question à son agenda. Il faut soutenir cette campagne.
Rony Brauman est médecin, essayiste, et ancien président de Médecins sans frontières.
Crédits photo : Ronan Shenhav / Flickr Creative Commons
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