Le 13 mai prochain sortira le rapport « Enfances brisées : les mineurs palestiniens dans le viseur de la répression israélienne ». À cette occasion, nous sommes allés à la rencontre de ces enfants qui, malgré leur jeune âge, subissent les abus d’un système de détention militaire arbitraire.
À 14 ans, Mohammad a été arrêté par l’armée israélienne. Aujourd’hui, il est assigné à résidence. © Anna Demontis / Plateforme des ONG françaises pour la Palestine
La semaine dernière, nous vous parlions de Mohammad, victime d’une arrestation arbitraire le 3 novembre 2015 alors qu’il avait 14 ans. Six mois plus tard, l’adolescent vit toujours avec une épée de Damoclès au dessus de la tête : assigné à résidence en décembre dernier en attendant son jugement final, il pourrait à nouveau encourir une peine de prison ferme. Le crime dont il est accusé ? Avoir jeté des pierres sur le tramway qui relie les colonies israéliennes de Jérusalem-Est à la partie Ouest de la ville, formellement annexée par Israël depuis 1967 en dépit du droit international et des résolutions des Nations unies.
Des aveux sous la menace
Mohammad est plus fragile que ce que son physique laisse croire. Du haut de son mètre quatre-vingt-dix, il ne peut masquer sa nervosité lorsqu’il parle de ses 41 jours passés dans les prisons israéliennes. Entre manque de sommeil, grève la faim, carences alimentaires et isolement, son incarcération est particulièrement difficile. Son quotidien est également jalonné de transferts interminables vers les centres d’interrogatoire, où il passe de longues heures face à des enquêteurs qui le poussent aux aveux. « Au début, l’un d’eux a dessiné deux chemins sur un papier, explique t-il. Il m’a dit « si tu prends le premier chemin, qui est tout droit, tu sais où tu vas arriver, mais si tu prends le second, qui est en zig zag, tu ne sais pas ce qu’il va se passer ». » Une façon schématisée d’expliquer le principe du « plea bargain » ou « plaider coupable », qui consiste à avouer des faits sans aller jusqu’au procès pour bénéficier d’une peine réduite, issue d’un accord passé entre l’avocat et le procureur.
Face à cet argumentaire imparable aux yeux de la justice militaire israélienne, Mohammad ne faiblit pas et refuse d’avouer des faits qu’il affirme n’avoir pas commis. L’enquêteur fait alors venir l’un de ses amis pour le pousser à avouer contre lui. Enfin, il le menace de démolir sa maison et de lui retirer son permis de résidence à Jérusalem. Mohammad et sa famille partiraient ainsi vivre en Cisjordanie et perdraient des acquis sociaux, tels que l’assurance maladie. Bouleversé, le jeune garçon décide finalement d’avouer une partie des faits qui lui sont reprochés.
« Je suis encore en prison »
Ces aveux extorqués de force, ainsi que les témoignages d’un policier israélien et d’un passager présents dans le tramway lorsque Mohammad aurait jeté des pierres constituent les seules « preuves » de sa culpabilité. À plusieurs reprises, son avocat lui propose d’être assigné à résidence. Une perspective qu’il refuse en bloc : « Je ne voulais pas être enfermé dans ma propre maison. » Mais encore une fois, sa ténacité est mise à mal par le chantage judiciaire orchestré par les autorités israéliennes. S’il refuse, trois autres mineurs condamnés pour les mêmes faits que lui resteront eux aussi en prison. Sous la pression de ses parents, qui souhaitent plus que tout voir leur fils revenir à la maison, il finit par accepter le jugement.
Mohammad est libéré sous caution et assigné à résidence contre son gré le 14 décembre 2015. Ses parents, qui deviennent ses geôliers, payent alors 5 000 shekels (environ 1 150 euros) et encourent une amende de 20 000 shekels (environ 4 600 euros) si l’assignation à résidence n’est pas respectée. Depuis, le quotidien de l’adolescent se résume aux allers-retours entre la maison familiale et l’école. « Je ne suis pas heureux et je ne pense pas que ce soit juste pour moi, admet-il. Même si je vois ma famille, d’une certaine façon, je suis encore en prison. C’est vraiment terrible de rester tout le temps chez moi, donc je vais dans ma chambre et je dors. »
Se reconstruire après la prison
Lorsque nous nous entretenons avec Mohammad, voilà deux semaines qu’il a repris le chemin de l’école. Mais la seule bouffée d’air frais qui rythme ses journées moroses était, au départ, loin d’être gagnée. Elle est le fruit d’âpres négociations entre son père et les autorités israéliennes qui refusaient qu’il aille dans son ancien collège situé près de Ramallah (Cisjordanie). Il finit par obtenir une autorisation à condition de choisir un établissement plus près de chez lui. « Ma première journée dans cette nouvelle école était vraiment difficile car je suis très timide. J’ai dû m’habituer à cette situation », raconte-t-il.
Si, devant nous, il assure qu’il va bien, ses parents démentent ses propos : « Il veut tout le temps rester seul, conteste son père. La nuit, il ne dort pas et il a du mal à réintégrer notre famille. » Revenu de l’université, son frère aîné a tenté de briser la glace pour que Mohammad puisse, enfin, se confier. Son père le reconnaît, « depuis, les choses se sont améliorées ». Un premier pas vers le chemin de la reconstruction, qui promet malheureusement d’être semé d’embûches : à l’heure où nous écrivons ces lignes, l’adolescent ne sait toujours pas quel sort lui sera réservé.
Début mai, Israël a été examiné par le Comité contre la Torture des Nations unies (CAT) qui contrôle l’application de la Convention contre la torture par ses États parties. À cet égard, au sein de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine, l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la torture (ACAT), la Ligue des droits de l’Homme (LDH), l’Association France Palestine Solidarité (AFPS)avec le Yes Theatre et le soutien d’Addameer, Defense for Children International Palestine et La Voix de l’Enfant, ont soumis un rapport alternatif au Comité. Ce rapport souligne les violations des droits de l’Homme, et en particulier de la Convention des Nations unies contre la torture, commises par Israël à l’égard des mineurs palestiniens arrêtés et détenus. Il s’inscrit dans la campagne sur les prisonniers palestiniens initiée par le groupe de travail « droits de l’Homme » de la Plateforme Palestine (constitué de l’ACAT, l’AFPS, la LDH), dont le documentaire « Palestine : la case prison », soutenu par Amnesty International, fait partie.
Source : https://blogs.mediapart.fr/platefor...
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