Plateforme des ONG Françaises pour la Palestine

Mats Grorud : « c’est 85% d’une population entière qui ont quitté leur foyer »

11 mars 2019

Le Norvégien Mats Grorud est le réalisateur du film d’animation Wardi dont la Plateforme Palestine est partenaire. Nous l’avons rencontré lors de son passage à Paris autour de l’avant-première du film qui est en salles depuis le 27 février 2019.



D’où vous est venue l’idée, ou peut-être la nécessité, de réaliser ce film ?

Ce film générationnel a lieu dans le camp de réfugiés palestiniens de Bourj el Barajneh à Beyrouth, qui a été créé il y a 71 ans. C’est une histoire de génération dans le film mais aussi dans la vraie vie ; ma mère était infirmière pour une organisation de solidarité norvégienne pendant la guerre civile au Liban. Elle nous rapportait des photos des camps, j’ai grandi avec cela ; elle nous disait « quand il y aura la paix, nous irons ».

Nous sommes allés au Caire en 1989 et nous avons voyagé jusqu’à Gaza, Rafah, Jérusalem. J’avais 12 ans, c’était une expérience très forte, on peut donc dire que j’ai été politisé assez tôt. Au Caire il y avait Fathi Arafat, le frère de Yasser, tout était très politique là-bas. A Jérusalem, c’était la fin de la première Intifada, je voyais partout des enfants faire le V de la victoire avec leurs doigts.

Le film est à propos d’une jeune fille de 11 ans, et j’espère que les enfants de cet âge auront peut-être la même réaction que j’ai eue à leur âge en allant en Palestine. Nous voulons montrer aux enfants le monde tel qu’il est. L’animation on peut rendre cela possible sans que cela soit traumatisant mais au contraire en suscitant l’engagement ou au moins la possibilité de comprendre pourquoi les choses sont ainsi.

Le film n’est pas juste pour les enfants, il est aussi pour les adultes car en Europe les gens évitent le sujet en disant : «  oh non, je n’ai pas d’opinion, c’est trop compliqué, c’est que de la violence, les Palestiniens et les Israéliens se sont toujours détestés », c’est tout à fait faux. Depuis 71 ans, des personnes sont privées de leur foyer. Il y a une occupation, une colonisation en cours. Qui, aujourd’hui, dirait : « Afrique du Sud, apartheid, non je n’avais pas d’opinion » ? Personne ne l’admettrait. Mais avec la Palestine c’est différent.

Or ce n’est pas si difficile de voir ce qu’il se passe et ce qui s’est passé en 1948. Les archives militaires israéliennes montrent clairement comment les Israéliens ont expulsé les Palestiniens (le plan Daleth etc.), tout est là. Même aujourd’hui la droite israélienne dirait : « oui, nous l’avons fait et devrions le refaire  ». C’est 85% d’une population entière qui ont quitté leur foyer. Et ils ne sont pas partis volontairement. Les gens ne partent pas volontairement ni ne vivent dans les camps pendant des générations entières volontairement.

Il était important pour vous de parler de l’histoire, des réfugiés palestiniens ?

Je voulais d’abord me concentrer sur une histoire humaine. Quand on dit « non, c’est impossible que les réfugiés reviennent  », on ne les considère pas comme des humains. En réalité, dans les camps, il y a des humains qui veulent juste vivre, essayer d’avoir une vie pour eux et leurs enfants.

C’est un film politique, mais qui ne tombe pas dans le piège du film politique traditionnel sur Israël/Palestine dont les gens se fatiguent rapidement. Cette histoire est à propos de gens dans les camps, c’est à propos des Palestiniens. Il ne s’agit pas d’Israël. Parfois des groupes pro-israéliens me critiquent en disant : « où est la version juive, la version israélienne de l’histoire ? » Pour toute histoire, il faudrait la perspective israélienne ? Non, c’est stupide, si je fais un film sur vous, je n’ai pas besoin de la perspective de votre cousin ou frère, c’est très étrange.

Il s’agit donc de personnes qui veulent juste accéder à leurs droits. Il ne s’agit pas de la haine d’autrui, les camps sont loin, ils n’ont pas de connexions avec les Israéliens qui sont venus habiter dans leurs maisons. Mais ils détestent être dans les camps, ils détestent tout de cette vie dans laquelle ils sont coincés à cause de ce qui s’est passé en 1948.

Que pensez-vous du droit au retour ?

Dans le film, il y a deux jeunes garçons qui se font tirer dessus. C’est inspiré de 2006, lorsque les autorités ont ouvert la frontière entre le Liban et Israël pour que les réfugiés des camps puissent s’y rendre. C’était la première « marche du retour » des réfugiés du Liban.

J’ai posé la question de retour plusieurs fois à un ami dans le camp de Burj al Barajneh où j’ai passé un an en tant que volontaire. Les gens des camps savent que leur discours sera instrumentalisé dans le jeu politique des camps, par le Hezbollah ou d’autres groupes politiques, or pour ces groupes il ne s’agit pas du retour réel mais de politique. C’est compliqué, les jeunes se sentent en quelque sorte étranglés, ils n’ont pas d’espace pour eux, les structures politiques sont tenues par des personnes âgées qui ont des agendas politiques différents.

Le droit au retour est la colonne vertébrale du camp. Tout réfugié sait d’où il vient, mais la lutte première des réfugiés n’est pas le droit au retour, c’est simplement de survivre, essayer de faire sa vie, d’avoir accès à l’éducation… c’est injuste car c’est un choix impossible. Le choix du retour est en quelque sorte illusoire. Le droit au retour est une part importante de l’identité palestinienne mais actuellement les gens se battent d’abord pour leur survie.

Quelle est votre expérience du camp ?

J’ai vécu dans le camp de Burj al Barajneh en 2001, j’avais 25 ans et j’étais volontaire avec le Comité Palestine de Norvège où je travaillais pour plusieurs organisations du camp. J’ai commencé à interviewer plusieurs de mes amis. Je trouvais qu’ils étaient si talentueux, brillants, poétiques que je devais raconter leur histoire. En tant qu’étranger qui n’a pas vécu la guerre, je me demandais : comment cela affecte et transforme les personnes ? Comment parler du passé ? Qu’est-ce qui les intéresse aujourd’hui, comment ils envisagent leur futur ? La dimension passé-présent-futur m’intéressait, car dans les camps tout est lié à 1948 : le fait qu’ils soient bloqués dans le camp, qu’ils n’aient pas accès à l’emploi, qu’ils aient toujours ces papiers d’identité des Nations unies, qu’ils reçoivent toujours des rations de l’ONU !

Comment ces personnes réfugiées du camp envisagent-elles le futur ?

« Pigeon boy », dans le film, illustre cela, il dit « j’emmerde le futur, j’emmerde le passé  ». Ils effacent le passé, le futur, et vivent au jour le jour, faisant de leur mieux pour survivre. Ils ne peuvent pas travailler, ni voyager, c’est difficile de penser au futur. Et au passé également car ils ont grandi dans la guerre. Ils essayent de trouver un sens à leur existence. J’ai essayé de le faire transparaître dans le film.

Les personnages du film sont inspirés des gens que j’ai rencontrés dans le camp, comme Lufti et Rosette, d’autres sont un mélange de plusieurs personnes. Pour les flashbacks, j’ai dû me documenter, car il était difficile d’obtenir des témoignages de la guerre, je ne voulais pas creuser dans le passé des gens et faire ressurgir la douleur. C’est pourquoi je qualifie le film de « fiction basée sur des faits réels » et non de « documentaire », mais 90% est tiré de mon expérience dans le camp.

Avez-vous le sentiment que votre objectif d’éduquer la jeunesse avec le film est atteint ?

Je pense que oui. Le film marche très bien pour les jeunes publics, j’ai fait le choix d’en faire un film historique mais aussi pédagogique. Si la question se reposait aujourd’hui, je referais le même choix car les parties historiques en font un film idéal pour la jeunesse, et il est très important sur le long terme de sensibiliser les jeunes.

En savoir + sur le film Wardi et les projections en France.



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