Paris, le 24 avril 2018
Monsieur le Président de la République,
Depuis le 30 mars 2018, des dizaines de milliers de manifestants pacifiques se sont rassemblés en différents endroits de la bande de Gaza, non loin de la clôture militarisée qui sert de frontière avec Israël, dans et autour de la « zone tampon » décrétée par Israël sur le territoire palestinien et interdite aux Gazaouis.
Ils marquaient ainsi le début de la « Grande Marche du Retour », mouvement populaire et non-violent visant à se prolonger jusqu’au 15 mai 2018, date qui marquera les 70 ans de la Nakba. Parmi leurs revendications : le droit au retour des réfugiés palestiniens (70% des habitants de Gaza sont réfugiés) et la levée du blocus de Gaza qui dure depuis plus de 10 ans en toute illégalité.
Dès la première manifestation le 30 mars, l’armée israélienne a lancé des gaz lacrymogènes en utilisant des drones et a tiré de manière indiscriminée sur les manifestants à balles réelles. Des médecins, des journalistes et des enfants ont été ciblés. Au 23 avril, on comptait 40 morts à Gaza depuis le début des manifestations et plus de 5000 blessés, dont 1700 par balles, dont des balles à effet explosif. Médecins sans Frontières a souligné des blessures « inhabituelles et dévastatrices », « les patients doivent subir des opérations chirurgicales extrêmement complexes, et nombre d’entre eux auront des séquelles à vie » a témoigné la cheffe de mission en Palestine. Certains risquent l’amputation.
La violence de la répression par l’armée israélienne était en outre préméditée et annoncée. La veille, le chef d’état-major israélien annonçait le déploiement d’une centaine de tireurs d’élite le long de la frontière et annonçait : « En cas de danger mortel, il y a autorisation d’ouvrir le feu […] Les instructions sont d’utiliser beaucoup de force. »
Le gouvernement israélien refuse toute enquête indépendante, comme le demandent les Nations unies et l’Union européenne. Amnesty International et Human Rights Watch ont également appelé à une enquête et condamné l’usage excessif de la force par l’armée israélienne. Quatre organisations israéliennes ont, elles, fait appel devant la Cour suprême israélienne contre l’autorisation d’utiliser des armes à feu, précisant que les manifestations dans la Bande de Gaza ne sont pas interdites et que les tentatives de franchir la clôture devraient être considérés comme des « désordres civils » et non des « attaques armées ».
En réprimant de la sorte des manifestations pacifiques, l’Etat d’Israël viole un certain nombre de règles internationales et de droits fondamentaux, à commencer par la liberté de manifester. En outre, l’usage de la force indiscriminée contre des civils et l’usage de balles réelles à l’encontre de personnes ne posant pas de danger imminent ni mortel sont interdits par le droit international humanitaire (principes de distinction, de précaution et de proportionnalité exigés par le Protocole additionnel I aux Conventions de Genève). Le commandement d’une telle action est également illégal. Selon la IVe Convention de Genève (article 147), les actes commis peuvent être constitutifs de crimes de guerre et, comme l’a récemment rappelé Fatou Bensouda, procureur de la Cour pénale internationale, les personnes ayant commis et commandé un acte constitutif d’un crime de guerre peuvent être poursuivies par la Cour (article 8 du Statut de Rome). Enfin, cibler des journalistes viole la résolution 2222 du Conseil de sécurité de l’ONU sur la protection des journalistes en situation de conflits.
Ces manifestations témoignent de la permanence de la question des réfugiés, 70 ans après l’expulsion de plus de 800 000 Palestiniens de leurs foyers. Aujourd’hui ils sont plus de 5 millions de réfugiés à être enregistrés auprès de l’UNRWA.
Elles mettent également en lumière la situation dans la Bande de Gaza. Malgré les avertissements de l’ONU qui a jugé ce territoire palestinien occupé inhabitable d’ici moins de deux ans, l’inaction de la communauté internationale demeure. Les attaques israéliennes répétées contre des civils depuis 2008 restent également impunies, suscitant un désespoir et un sentiment d’injustice immense chez les Gazaouis.
S’agissant des violations flagrantes du droit observées dans la Bande de Gaza, nous demandons donc à la France, dans une optique humanitaire et en tant que garante du droit international :
– d’appeler à l’ouverture d’une enquête indépendante et impartiale sur l’utilisation d’armes létales - et possiblement de munitions non conventionnelles - contre des manifestants désarmés ;
– de demander, au sein des institutions européennes, l’exclusion des entreprises militaires israéliennes des programme-cadres européens comme Horizon 2020 et FP9. En effet, la participation d’Israël aux programme-cadres de l’Union européenne pour la recherche et le développement technologique permet l’apport de soutiens financiers européens à des industries militaires telles que Elbit et Israel Aerospace Industries, les deux principaux fournisseurs de drones à l’armée israélienne complices des crimes de guerre israéliens.
– de concourir à mettre un terme à l’impunité des autorités israéliennes au moyen notamment d’un soutien affirmé à des mécanismes juridiques internationaux tels que la Cour Pénale Internationale.
Par ailleurs, la France doit :
– demander aux autorités israéliennes la levée complète du blocus de Gaza, cause première de la crise humanitaire ;
– prendre en compte de manière juste et légitime la question des réfugiés palestiniens et du droit au retour dans les discussions bilatérales et négociations à venir sur la question palestinienne, en application de la résolution 194 de l’Assemblée générale de l’ONU.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, l’assurance de notre profonde considération.
Mme Claude Léostic, Présidente de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine
La lettre a également été envoyée au Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères
Voir la réponse du chef de cabinet d’Emmanuel Macron
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