L’Etat hébreu a poussé au départ le personnel international du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, décapitant le bureau de l’agence onusienne à Ramallah.
D’ici la fin de l’année, il ne restera plus aucun représentant étranger du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) dans les Territoires palestiniens. Leurs visas n’ont pas été reconduits par Israël : neuf expatriés, dont James Heenan, le directeur local de l’agence, ont déjà dû quitter la Cisjordanie et Gaza. Trois devraient suivre d’ici décembre, décapitant de fait le bureau palestinien de l’organisme onusien dirigé par l’ex-présidente chilienne Michelle Bachelet, comme l’a confirmé un de ses porte-paroles à Libération, accréditant les informations du site Middle East Eye.
« Biais anti-israélien »
Concrètement, les autorités israéliennes se sont contentées de renvoyer les passeports des diplomates vierges de tout sésame après des semaines d’attente. Sans commentaire. Mais il ne fait aucun doute que les employés du HCDH sont persona non grata en Israël et dans les territoires occupés depuis la publication par l’agence, en février dernier, de l’explosive « liste noire » d’une centaine d’entreprises opérant dans les colonies. Dans la foulée, le Premier ministre Benyamin Nétanyahou avait ordonné la suspension des relations avec cette institution onusienne, honnie par l’Etat hébreu pour son prétendu « biais anti-israélien ».
Contacté par Libération, le ministère des Affaires étrangères israélien estime « n’avoir rien de plus à ajouter à notre déclaration de février, qui parle d’elle-même ». Ce communiqué hyperbolique accusait le Haut-Commissariat et le Conseil des droits de l’homme de soutenir l’agenda des partisans du boycott d’Israël et « de n’avoir pas fait un seul pas significatif vers la préservation des droits de l’homme depuis [leur] création, mais [ont] plutôt servi à protéger certains des régimes les plus discriminatoires au monde ».
« Situation nébuleuse »
A Ramallah, dans le petit monde des humanitaires, la situation précaire du personnel international du HCDH était connue depuis des mois. La fragmentation des territoires palestiniens, entre la Cisjordanie, Jérusalem-Est et Gaza, rend indispensable l’obtention d’un visa israélien pour pouvoir circuler entre les différentes zones couvertes par l’agence. Ses dirigeants se refusaient néanmoins à tout commentaire, persuadés de pouvoir négocier en coulisses après avoir laborieusement obtenu quelques visas ponctuels en mars et juin.
De Genève, Rupert Colville, porte-parole du HCDH, continue à tenir ce discours conciliant voire dissonant, notant qu’il ne s’agit que d’un « gel » des relations avec Israël : « Disons que la situation est nébuleuse en ce moment et qu’il s’agit d’un développement sérieux, mais ce n’est pas gravé dans le marbre. Il y a de la place pour des discussions, qui se poursuivent à différents niveaux. » Dans le même temps, celui-ci assure que le travail de l’agence n’a pour le moment pas été fondamentalement altéré, la plupart des employés s’étant mis au télétravail, pandémie oblige, et s’appuyant toujours sur un réseau de 26 travailleurs locaux, pour la plupart palestiniens. « Ce n’est pas encore catastrophique, mais c’est évidemment difficile à vivre pour notre staff à un niveau personnel, qui pour certains, avaient fait leur vie ici, avec des enfants scolarisés, et qui doivent partir précipitamment. »
Néanmoins, Colville confirme que si cette situation devait perdurer, celle-ci aurait un réel impact sur les travaux de l’agence, qui ne se limitent pas à constater les violations des droits des Palestiniens sous occupation. « Nous produisons des rapports sur chaque partie prenante – qu’il s’agisse d’Israël, de l’Autorité palestinienne ou du Hamas. Par ailleurs, nous faisons un important travail de formation et d’éducation aux droits humains en Cisjordanie, auprès des associations locales et du gouvernement. »
« Campagne agressive visant à faire taire »
Pour Hagai El-Ad, directeur de l’ONG israélienne B’Tselem, les déboires du HCDH s’inscrivent dans ce qui commence fort à ressembler à une tendance, depuis le précédent créé en 2019 par l’expulsion très médiatisée d’Omar Shakir, directeur de recherches sur Israël et la Palestine d’Human Rights Watch. La même année, Israël avait aussi mis fin au mandat de la Présence internationale temporaire à Hébron (PITH), une mission civile qui documentait les frictions dans la ville palestinienne occupée.
« Israël mène une campagne agressive cherchant à faire taire, afin de neutraliser toute possibilité d’être tenu responsable pour ses violations permanentes des droits de l’homme contre les Palestiniens, estime El-Ad. L’un des principaux axes de cette campagne concerne les entités internationales de défense des droits de l’homme. Israël se sert de son pouvoir – qui est celui de décider seul qui peut ne serait-ce qu’entrer dans les territoires occupés – pour pousser au départ de plus en plus de travailleurs internationaux. Ces actions font partie d’une campagne plus large, qui a commencé par le ciblage des ONG palestiniennes et israéliennes. »
Une stratégie qui pourrait s’intensifier, alors qu’Israël s’inquiète de possibles poursuites pour « crimes de guerre » à la Cour pénale internationale, visant l’action de son armée à Gaza mais aussi l’expansion de la colonisation. A ce propos, mercredi, le gouvernement israélien approuvait la construction de plus de 2 000 nouveaux logements dans des colonies de Cisjordanie. Le premier feu vert du genre depuis août et la « suspension » de l’annexion, offerte en échange de la normalisation des relations avec les Emirats arabes unis.
Guillaume Gendron, correspondant à Tel-Aviv
Visuel : During the votes at a 36th session of the Human Rights Council. 28 September 2017. crédit UN Photo / Jean-Marc Ferré
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