Plateforme des ONG Françaises pour la Palestine

Claude Léostic : « En Palestine, les femmes sont en première ligne, à tous les niveaux »

22 juin 2018

La plate-forme des ONG françaises pour la Palestine regroupe des organisations de solidarité internationale, différents types d’associations et des mouvements d’éducation populaire. Claude Leostic, présidente de la plate-forme présente le rôle des femmes palestiniennes qui se battent sur tous les fronts.

Quels sont les objectifs de la plateforme des ONG françaises pour la Palestine ?

Notre objectif premier est d’informer la population sur la situation en Palestine et en Israël, et sur les droits des Palestinien.ne.s, bafoués depuis plus de 70 ans. Nous menons également un travail de pression auprès de nos élu.e.s et dans le gouvernement : notre démarche est très souvent de faire venir des partenaires palestinien.ne.s, et parfois israélien.ne.s pour qu’ils portent directement leur parole à notre exécutif. Nous produisons aussi beaucoup d’outils, que l’on retrouve via notre site : des infographies, des chiffres clefs, des synthèses très régulières sur les différents thèmes qui nous mobilisent.

Avec quelles associations de femmes êtes-vous en contact en Palestine ?

Nous ne sommes pas en contact avec un groupe en particulier ; nos partenaires, ce sont les ONG qui regroupent indifféremment des hommes et des femmes. Dans les ONG palestiniennes, il y a les deux, même s’il y a des groupes spécifiques de femmes autour des revendications particulières des femmes.

Travaillez vous avec le Gaza Women’s Affairs Centers ?

Oui, nous travaillons avec le Gaza Women’s Affairs Centers (1) à distance, parce qu’il est presque impossible de se rendre à Gaza maintenant. Je m’y suis rendue pour la dernière fois en 2013, juste avant la prise du pouvoir par les militaires en Egypte, et depuis nous n’avons pas réussi à y rentrer. Bien sur, nous avons rencontré plusieurs de nos partenaires, des associations de femmes à Gaza et en Cisjordanie occupée, chaque fois que nous avons pu y aller. Elles font un travail absolument remarquable, de défense des droits, d’organisation de la société, d’organisation des droits des femmes.

La journaliste palestinienne Naila Ayesh a remarqué que la droitisation de la politique palestinienne portée par le Hamas fait reculer les droits des femmes, êtes vous en accord avec ses conclusions ?

Il faut reconnaître que la société palestinienne reste patriarcale, même si elle est l’une des plus ouvertes de l’ensemble du monde arabe. Dans le cadre de la bande de Gaza, où le Hamas gère les affaires depuis 2006, il y a, non pas une droitisation mais un retour vers la tradition et le religieux lié à la partie religieuse du Hamas, mais surtout en opposition à la politique israélienne de colonisation et de blocus. Le Hamas est multiforme, il est politique, il est caritatif, il est religieux, il est militaire. Les religieux ont essayé d’imposer un carcan qui évidemment frappe les femmes directement, mais je me rappelle en 2013 avoir rencontré des femmes d’ONG, en jean et cheveux découverts, qui disaient que le Hamas ne les empêchait absolument pas de travailler. C’est globalement un poids conservateur, pas de droite, mais conservateur. Ce que l’on constate en revanche c’est que le Hamas est en perte de vitesse assez nette dans la bande de Gaza, et je pense que c’est lié en grande partie aux femmes justement.

On a l’impression dans les médias de voir les femmes en première ligne, face aux soldats israéliens, est-ce une réalité ?

En Palestine, les femmes sont en première ligne, à tous les niveaux, elles l’ont été dans la lutte armée quand elle avait cours, et elles le sont aussi dans l’organisation de la société palestinienne, familiale et sociétale. Elles gèrent la famille, l’éducation des enfants, l’emprisonnement des hommes, et parfois des femmes (2).

Elles sont également omniprésentes dans l’engagement politique et militant. Les femmes un peu plus âgées sont plus impliquées au niveau organisationnel, dans les ONG, ou bien au Parlement, et les femmes plus jeunes sont plus impliquées dans le militantisme direct, dans les manifestations. Ce que l’on voit très souvent, dans les grandes réunions, dans les grands rassemblements politiques, ce sont les hommes en premier plan, les jeunes hommes dans les manifestations qui balancent leurs pierres. Mais sans les femmes, rien de cela ne serait possible, et elles sont autant que les hommes aux premiers rangs des manifestations. Ce sont les femmes qui organisent la résistance au cœur de la société palestinienne, et ce sont elles aussi qui maintiennent le flambeau de la revendication du droit au retour.

Beaucoup d’hommes sont en prison, ou morts, ou au chômage, et souvent dans l’incapacité d’assumer le rôle traditionnel qui leur est dévolu ; les femmes ont pris le relais depuis longtemps. Malgré l’occupation, malgré le blocus, elles parviennent à maintenir le cap de la résistance, elles ont une grande faculté de résilience, et c’est sur quoi l’ensemble de la société palestinienne s’articule. Elles en sont la colonne vertébrale, et sans elles, on aurait peut-être une société à genoux.

En Israël, il y a une droitisation de la politique et de l’opinion publique. Cela conduit-il à un recul des droits des femmes ?

En Israël, l’extrême droitisation est une évidence, la société israélienne est sur ce glissement vers la « facisation avancée » que nous signalent nos partenaires israéliens. Il y a un gouvernement qui surfe sur l’impunité complète que lui assure le soutien des Etats-Unis de Trump, et cela touche tout le monde, les femmes comme les hommes. C’est une évolution qui va dans le sens des restrictions des libertés pour tout le monde, et on sait hélas que dans ce type de contexte, les femmes sont souvent doublement victimes des répressions sociétales et politiques.

Il y quand même un mouvement d’opposition à cette politique, un mouvement dans lequel il y a beaucoup de femmes. Dans les différentes ONG, les femmes sont très actives, tant Palestiniennes qu’Israéliennes. Nous valorisons particulièrement leur travail, parce que nous savons à quel point il est difficile. On sait aussi qu’en Israël il y a des femmes dans l’armée, et que certaines d’entres elles font partie de mouvement comme Breaking the Silence, une association d‘ancien.ne.s combattant.te.s, qui dénonce, même si c’est après coup malheureusement, les violences absolument extrêmes de l’armée israélienne.

Dans ce contexte, quel est le rôle du Machsom Watch ?

Les femmes du Machsom Watch (3) font un travail absolument primordial puisqu’elles sont présentes sur certains des centaines de check points qui brisent la continuité de la Cisjordanie. Elles veillent, par leur présence, à ce qu’il n’y ait pas trop de « dérapages », qui ne sont bien sûr jamais vraiment des dérapages, mais simplement des actes de répression coloniale. Elles font des rapports, elles dénoncent, elles interpellent, elles sont extrêmement utiles et elles jouent aussi un rôle moral. Certains disent que cela blanchit un peu la violence israélienne, moi je pense que non, je pense qu’elles jouent un rôle véritablement important. Ces femmes s’exposent à des difficultés dans leur propre société, car on sait à quel point la société israélienne est rétive à tout ce qui est palestinien.

Je pense qu’elles ont un rôle important et particulièrement honorable, comme d’autres ONG telles que les Anarchistes contre le mur, Breaking the silence, De-Colonizer ou Who Profits. Les femmes et les hommes, dans ces ONG, sont extrêmement courageux et maintiennent un espoir dans la société israélienne.

Les femmes palestiniennes ne sont elles pas porteuses d’espoir dans le conflit Israelo-Palestinien ?

Cela fait plus de 70 ans que les femmes de Palestine, comme les hommes, réclament le respect de leurs droits individuels, collectifs, nationaux. Le 8 mars dernier en Palestine, il y a eu des manifestations, des milliers et des milliers de femmes se sont rassemblées au check point de Kalandia, entre Jérusalem et Ramallah pour demander la fin de l’occupation, mais aussi la liberté et l’unité palestinienne. En effet, la désunion de la politique palestinienne qui est une victoire de la politique israélienne, est très dommageable.

Ces femmes sont porteuses de bon sens et d’intelligence dans une société sous occupation ; elles sont porteuses d’un espoir considérable pour une société libérée, juste, et débarrassée de l’occupation.

Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 magazine et Brigitte Marti 50-50 magazine

1 Le « Gaza Affairs Center » est une organisation palestinienne qui à travers les savoirs des femmes travaille à l’avancement des droits des femmes, pour leur autonomie, pour l’égalité de genre et un développement équilibré et durable de la Palestine.

2 Il y a actuellement 63 palestiniennes détenues par Israël, selon les chiffres du mois d’avril 2018.

3 Le Machsom Watch est un groupe de femmes israéliennes dont la mission est de surveiller et documenter les actions des soldats et policiers israéliens aux check point ( Machson en hébreux) installés en Cisjordanie.

Visuel : Femmes palestiniennes de Bethléem, 1914, G. Eric and Edith Matson Photograph Collection


50-50 Magazine


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