Plateforme des ONG Françaises pour la Palestine

Etiquetage des produits des colonies israéliennes : un petit pas vers le respect du droit international

18 novembre 2019 - Ghislain Poissonnier, magistrat

Le 12 novembre 2019, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a validé la législation européenne imposant un étiquetage spécifique des produits des colonies israéliennes implantées dans les territoires occupés par Israël.

La Cour avait été saisie d’une question préjudicielle posée par le Conseil d’État français le 30 mai 2018. Un producteur israélien de vins, dont les vignes sont installées dans une colonie israélienne de Cisjordanie, avait saisi le Conseil d’État en 2017 pour faire déclarer illégale la réglementation française. Cette dernière résulte d’un « Avis aux opérateurs économiques relatif à l’indication de l’origine des marchandises issues des territoires occupés par Israël depuis juin 1967 » pris par le ministère de l’économie et des finances en 2016. Il transpose en droit français une « Communication interprétative » de la Commission européenne adoptée en 2015 et invitant les États membres à prévoir dans leur législation un étiquetage spécifique pour les produits issus des colonies israéliennes vendus sur le marché européen.

Au-delà des développements techniques et du raisonnement juridique suivi par la CJUE, l’arrêt rendu le 12 novembre 2019 a rappelé trois choses essentielles :

la Cisjordanie, Jérusalem-Est, et la bande de Gaza sont des territoires palestiniens et le plateau du Golan est un territoire syrien ;
ces territoires sont occupés par Israël depuis 1967 ;
les colonies qu’Israël y a implantées sont illégales.

Tout cela avait déjà été dit par la Cour internationale de Justice dans son avis de 2004 sur le mur construit illégalement en territoire palestinien. Cependant, le fait que la CJUE le répète lie désormais de manière plus précise les États membres de l’Union Européenne (UE) et les institutions européennes. Il en découle, pour le juge européen, que ces territoires occupés ne peuvent pas être considérés comme des territoires israéliens et que les produits qui en sont issus ne peuvent pas être étiquetés comme des produits israéliens. La législation européenne exigeant un étiquetage spécifique des produits des colonies israéliennes est donc légale et évite d’induire les consommateurs en erreur. Les produits doivent à la fois indiquer le territoire d’origine (Cisjordanie ou Golan) et le lieu de provenance (colonie israélienne).

Voilà donc un pas franchi vers le respect du droit international, mais un petit pas seulement.

Tout d’abord, que de temps perdu ! Depuis 2009, l’UE s’est engagée dans une politique dite de différenciation entre Israël et ses colonies. Il a fallu attendre six ans pour que les États membres se mettent d’accord sur une réglemention relative aux produits des colonies. Puis à nouveau quatre ans pour que la CJUE la valide. En France, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes avait purement et simplement suspendu ses contrôles des marchandises issues des colonies depuis que le Conseil d’État avait posé sa question préjudicielle. Au total, 10 années ont été perdues au cours desquelles la colonisation n’a, quant à elle, cessé de s’étendre et les entreprises qui s’y trouvent ont pu continuer à exporter leurs produits sans porter d’étiquette spécifique.

Ensuite, l’étiquetage des produits est une demi-mesure. L’exigence du respect du droit international impose à l’UE d’interdire l’importation des produits des colonies. Cette interdiction découle de l’illégalité en droit international des colonies israéliennes. Comme l’indique l’avis de la Cour internationale de Justice de 2004, les États ne doivent pas apporter aide et assistance à une situation illégale comme la construction du mur en territoire palestinien et la colonisation. Or, importer et laisser vendre les produits des colonies sur le marché européen renforce les activités économiques situées dans les colonies et donc la viabilité de ces entités. Pourquoi ce qui a été décidé pour les produits de Crimée – territoire annexé illégalement par la Russie – ne l’a-t-il pas été pour les produits des colonies israéliennes ? Se mobiliser pour obtenir l’interdiction de ces produits sur le sol français et européen reste donc plus que jamais nécessaire (voir la campagne Made in illegality)

Enfin, la législation relative à l’étiquetage sera difficile à faire respecter, tant les entreprises situées dans les colonies ont des liens avec les entreprises situées sur le territoire israélien, liens qui permettent aux autorités israéliennes de garder un flou précieux sur l’origine exacte des produits. Israël ne reconnait pas la légitimité de cette législation et ne fera rien en pratique pour en faciliter l’application. Faire respecter cette législation par de fréquents contrôles nécessitera une forte volonté politique tant des États que de l’UE, volonté qui fait le plus souvent défaut s’agissant d’Israël. Rappelons qu’Israël est l’État non membre de l’UE qui bénéficie du statut le plus privilégié possible et ce dans tous les domaines : commercial, économique, financier, scientifique, universitaire, militaire etc.

On trouvera tout de même de stimulantes perspectives dans les mots employés par la CJUE. L’arrêt du 12 novembre 2019 énonce que « la circonstance qu’une denrée alimentaire provient d’une colonie de peuplement établie en méconnaissance des règles du droit international humanitaire est susceptible de faire l’objet d’appréciations d’ordre éthique pouvant influencer les décisions d’achat des consommateurs, et ce d’autant plus que certaines de ces règles constituent des règles essentielles du droit international » (§56). Une manière pour le juge européen de reconnaître la légitimité de l’appel au boycott des produits israéliens lancé par les associations membres de la campagne BDS et motivé par la volonté de faire pression sur Israël tant que cet État violera le droit international.

Ghislain Poissonnier, magistrat


Sur le site de l’AURDIP


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