PLP : De février 2005 jusqu’à
votre nomination comme Déléguée
générale de la Palestine
en France, vous étiez ministre de l’Autorité
palestinienne, chargée de Jérusalem,
où vous habitez. Comment analysezvous
l’évolution de la situation à Jérusalem
?
Hind Khoury : Depuis le retrait israélien
de la bande de Gaza, la situation à
Jérusalem s’est encore aggravée. Ce
retrait, totalement unilatéral, s’inscrivait
dans un projet plus global : évacuer ce
territoire ainsi que de petites colonies
en Cisjordanie afin d’accélérer, notamment,
l’occupation du grand Jérusalem
pour en faire la capitale israélienne éternelle.
Jérusalem, occupée, est coupée
du reste de la Cisjordanie ; le mur sépare
physiquement les Palestiniens les uns
des autres et les seuls points de passage
mis en place par les dirigeants israéliens
font figure de frontière Or, l’annexion
de Jérusalem et son isolement sont très
graves. D’une part, sur le plan politique,
Jérusalem est au coeur du conflit. Empêcher
qu’elle devienne la capitale du futur
Etat palestinien, c’est rendre impossible
une solution fondée sur la coexistence
de deux Etats. D’autre part, sur le plan
humain, la vie des Palestiniens à Jérusalem,
comme dans toute la Cisjordanie,
est terriblement difficile. Beaucoup
de Palestiniens de Ramallah, de Bethléem
ou d’ailleurs dépendent économiquement
de la capitale. Ils travaillent,
étudient, se soignent dans les hôpitaux.
Ils ont de la famille à Jérusalem. Devoir
passer tous les jours ces checkpoints
est inhumain. C’est un désastre pour le
petit garçon qui doit, pour aller à l’école,
se réveiller à quatre heures du matin
pour passer par le barrage de Kalandia.
Une telle situation n’est pas supportable.
Les décisions internationales concernant
Jérusalem et les droits des Palestiniens
sont très claires. Pourtant, concrètement,
les dirigeants d’Israël peuvent
agir en toute impunité.
Le refus de la Commission européenne
de publier le rapport des diplomates
européens sur Jérusalem n’a aucune
justification. Ce rapport expliquait bien
la situation à Jérusalem ; tout y était :
le mur, les colonies, les difficultés de
vie des Palestiniens. Si les droits des
Palestiniens sont clairs, comment peuvent-
ils comprendre cette décision européenne
? Il leur semble que l’Europe
ne reconnaît tout simplement pas leur droit
à vivre.
PLP : Quel message souhaitez-vous
transmettre au mouvement de solidarité
en France, ou en Europe, singulièrement
à l’issue des élections législatives
palestiniennes ?
Hind Khoury : Le résultat des élections
et la victoire du Hamas montré comme un monstre, servent de prétextes à la
communauté internationale pour oublier
que le problème essentiel ici, c’est
l’occupation. Aussi décide-t-elle d’infliger
une punition collective au peuple
palestinien pour avoir exercé la démocratie.
Il y a une contradiction incroyable
dont nous payons les conséquences.
Pour nous rien ne change, sinon que
la vie empire et que notre espoir d’avoir
un Etat s’amenuise. Or, le manque de
stabilité au Moyen-Orient a des effets
sur la sécurité de l’Europe et du monde.
En matière de politique internationale,
les Etats-Unis ne regardent que leurs
intérêts de grande puissance. La realpolitik
privilégie les intérêts de pouvoir,
de défense et bien sûr de contrôle des
ressources énergétiques : on peut
sacrifier les droits humains ; la vie des
gens ne les intéresse pas. Le travail
de l’Association France Palestine Solidarité
et plus généralement du mouvement
de solidarité au sein de la société
civile deviennent dès lors d’autant plus
importants pour construire un avenir
plus humain.
Le tramway qui permettra de relier Jérusalem-
ouest aux colonies israéliennes
en traversant des quartiers de Jérusalem-
est occupée, est un cas flagrant
de violation du droit international. Participer
à sa construction, c’est faire le
jeu des dirigeants israéliens pour qui il
s’agit d’établir des faits accomplis en
bafouant les droits humains. Qui plus
est, ces infrastructures ne serviront pas
les populations locales. Ce train coupera
en deux des quartiers palestiniens.
Ces infrastructures, comme les
colonies et les routes qui les desservent
et sont réservées aux Israéliens, renforcent
une situation d’apartheid perfectionné
qui s’établit ici. Le monde
sait, et son silence est incroyable.
Votre campagne contre la participation
d’entreprises françaises à la construction
du tramway est très importante
parce qu’il faut absolument préserver
une référence à la légalité dans ce
monde. On ne peut pas ignorer le droit
international. Sinon, cela nous mènera
à une vie encore plus inhumaine, plus
fondée sur le sécuritaire, plus compliquée,
partout.
Propos recueillis par Monique Etienne
Jérusalem, le 24 février 2006.
- © Monique Etienne
Née à Bethléem, en 1953,
dans une famille chrétienne,
Hind Khoury suit des études d’économie
à l’université de Bir Zeit puis à
l’université américaine de Beyrouth.
Elle revient ensuite à Bethléem, se
marie -son époux est architecte- ; le
couple aura trois enfants.
La première Intifada la conduit à s’engager
dans les mouvements de protestation
et à donner des cours, chez elle,
alors que les écoles sont fermées. Elle
reprend en même temps des études
en administration publique de l’université
de Boston - dispensés à Beer
Sheva, en Israël - tout en travaillant
pour l’agence américaine USAID. Pendant
dix ans, elle travaille dans les
agences des Nations unies et pour des
programmes de développement européens
où elle acquiert une expérience
professionnelle de la gestion.
Les premiers checkpoints dressés entre
Bethléem et Jérusalem deviennent très
vite son quotidien comme celui de
l’ensemble des Palestiniens. Elle suit
les étapes du minage du processus de
paix d’Oslo par les autorités israéliennes,
qui conduit à l’éclatement de
la deuxième Intifada. La répression
israélienne, le siège brutal de sa ville,
ruineront le projet Bethléem 2000 dont
elle était chargée depuis 1999.
En février 2005, elle est nommée
ministre de l’Autorité palestinienne,
chargée de Jérusalem, après l’élection
de Mahmoud Abbas. Elle décide
de quitter son quartier, à l’entrée de
Bethléem, où elle se sent encerclée
par le mur qui emprisonne le camp de
réfugiés d’Aïda et isole la ville de Jérusalem
où elle s’installe. Elle succède
aujourd’hui à Leila Shahid comme
Déléguée générale de la Palestine en
France.