Au nord de la vallée du Jourdain se trouve la communauté bédouine d’Humsa Al Bqai’a, un lieu reculé, uniquement accessible par un chemin de terre. Lundi 8 février, cette communauté isolée et déjà en manque de ressources a été ciblée par une nouvelle série de démolitions et de saisies par l’administration civile israélienne. Au total, ce sont 61 personnes dont 33 mineurs qui se retrouvent sans abri et dépourvues d’infrastructures de base. Malheureusement, cette démolition n’est pas la première qu’a vécue cette communauté au cours des derniers mois.
Au milieu des décombres de sa maison en ruines, nous avons rencontré l’une des femmes de cette communauté qui nous a décrit les graves difficultés auxquelles elle, et plus particulièrement ses enfants, sont désormais confrontés à la suite de cette violation :
« Nous vivons dehors : les enfants tombent malades, ils doivent dormir et jouer dehors. La journée, ils ne sont pas protégés du soleil et la nuit, du froid. Ils ne se sont pas contentés de détruire nos biens, ils les ont pris.
Nous n’avons plus rien. Les bulldozers arrivaient tous les jours, nos moyens de subsistance sont détruits, nos points d’eau sont détruits, nous n’avons plus rien.
Dès qu’une voiture passe, les enfants ont peur. Ils pensent que ce sont des soldats venus pour nous attaquer ou détruire ce qu’il nous reste. Certaines personnes font des crises d’angoisse. Nous ne savons plus quoi faire. »
La communauté de Humsah après la nouvelle vague de démolition ©Jenny Higgins
Cela fait plus de cinq ans que Médecins du Monde, l’association dont je fais partie, et notre équipe de travailleurs sociaux et de psychologues, travaillons à Humsa Al Bqai’a.
Nous offrons plus spécifiquement des services de santé mentale d’urgence ainsi qu’un soutien psychosocial à cette communauté bédouine vulnérabilisée par les démolitions. Notre longue présence aux côtés de cette communauté témoigne de la nature répétée des démolitions et des menaces auxquelles ses membres sont confrontés depuis de nombreuses années.
Ils voulaient prendre la voiture et la détruire avec mon bébé à l’intérieur.
Cette nouvelle vague de démolitions est la deuxième subie par la communauté en moins de quatre mois. En novembre 2020, l’impact physique et psychologique de la première vague avait déjà été considérable, laissant à l’époque 71 personnes dont 41 mineurs sans abris, au début de l’hiver, dans le contexte d’une pandémie mondiale. Une grande partie des tentes, des abris, des latrines et des réservoirs d’eau démolis avait été financée par des bailleurs européens.
Déplacée dans le village voisin d’Abu Kbash, confinée dans un espace surpeuplé, une femme nous décrivait alors l’immense détresse de cette nuit, où les soldats ont tout pris sans le moindre avertissement :
« J’ai un bébé de 9 mois, j’ai voulu le mettre à l’abri dans la voiture pour aider mon mari à récupérer autant de choses que possible. Tout à coup, j’ai vu un soldat monter dans la voiture : ils voulaient prendre la voiture et la détruire avec mon bébé à l’intérieur. Nous leur avons crié de toutes nos forces d’arrêter. J’avais tellement peur de ne plus jamais revoir mon bébé en vie. »
La destruction continuelle d’Humsa Al Bqai’a n’est malheureusement pas un phénomène isolé. Au contraire, c’est bien le symptôme d’un processus chronique et systématique visant à créer un environnement invivable pour les communautés palestiniennes vulnérables, les forçant à se réinstaller dans d’autres zones.
Le transfert forcé constitue une grave violation du droit international quelles que soient les circonstances : que cette communauté soit contrainte à partir par la force, ou bien en créant une situation qui les empêche de rester sur leurs terres.
La deuxième démolition a gravement nuit au bien-être mental de cette communauté.
Au cours des dernières semaines, les démolitions répétées auxquelles nos équipes ont répondu n’ont pas seulement eu lieu à Humsa Al Bqai’a, mais également dans d’autres communautés de la vallée du Jourdain. Khirbet Yarza a également connu sa deuxième démolition en moins de six mois. Deux familles ont été touchées, dont cinq enfants.
Ces événements ont profondément affecté la santé mentale de ces familles. « La deuxième démolition a gravement nuit au bien-être mental de cette communauté, ils sont submergés par des pensées envahissantes, ils ont du mal à travailler et à s’occuper de leurs enfants et ils sont très inquiets par rapport à l’avenir. Ils sont soumis à beaucoup de stress et d’anxiété, ce qui crée même des problèmes avec les autres familles de la communauté », explique Mohammed Atta Shouman, l’un de nos travailleurs sociaux, après à son intervention auprès de la famille.
Médecins du Monde vient apporter son aide à la communauté de Humsa ©Jenny Higgins
Ces communautés sont semblables sur plus d’un point. En plus d’être localisées dans la zone C de la Cisjordanie où les autorités israéliennes ne délivrent jamais (ou presque) de permis de construire, elles se trouvent aussi aux alentours d’une vaste colonie israélienne illégale.
Cette proximité a un impact significatif sur la santé mentale et le bien-être psychosocial des populations palestiniennes avoisinantes. De nombreuses personnes avec lesquelles nous travaillons au sein des communautés palestiniennes sont dans un état de stress aigu, ce qui se répercute sur leur bien-être mental.
De plus, le fait que ces communautés soient dans les zones d’annexion annoncées par le gouvernement israélien en mars 2020 à la suite des élections n’est pas une coïncidence. En effet, malgré l’annonce gouvernementale de l’année dernière et contrairement à ce que l’accord de normalisation avec le Bahreïn prévoyait, l’annexion aura bel et bien lieu.
Aujourd’hui, pour toutes les personnes vivant et travaillant dans la vallée du Jourdain, l’annexion est une réalité incontestable.
Jusqu’à maintenant, la communauté internationale n’a jamais contraint Israël à faire respecter les droits de l’homme sur les Territoires palestiniens occupés et s’est contentée de simples recommandations. Aujourd’hui, cette dernière vague de violences force la communauté internationale à questionner le respect de ses propres lois et des valeurs qu’elle porte en étendard.
Le 16 février, lors d’une visite de Humsa Al Bqai’a, MdM a accompagné une délégation de diplomates européens venus rencontrer la communauté, les travailleurs sociaux et fournir de nouveaux équipements. Lors de cette visite, les forces de l’ordre israélienne ont saisi du matériel, dont une voiture appartenant à la communauté, sous les yeux des diplomates qui avaient financé le projet. La scène était particulièrement brutale, notamment lorsque les abris ont été saisis. Quel est l’intérêt de cette visite si après coup, la communauté se sent toujours autant abandonnée ?
Médecins du Monde apporte un soutien mental aux communautés palestiniennes victimes de violences et démolitions ©Jenny Higgins
Ces mêmes diplomates ont exprimé une « grande inquiétude » auprès du gouvernement israélien au sujet des démolitions. Cependant leur inaction et leur manque de résolution à entreprendre des actions avec leurs propres fonds les ont poussés à n’être que de simples spectateurs de crimes de guerre. Les paroles et les beaux discours ne changent rien : c’était une claire démonstration de force des autorités israéliennes. Elles continueront à saisir et à démolir en plein jour, aux yeux de tous, au vu et au su de leurs détracteurs, sans craindre de représailles.
Des mesures doivent être prises au niveau européen et national pour que ces communautés bénéficient d’une véritable protection
La communauté internationale se doit non seulement de rappeler à Israël que selon le droit international, le pays a le devoir de protéger les droits fondamentaux des Palestiniens, mais elle doit aussi prendre des mesures réelles et concrètes pour protéger ces communautés. Sans recours clair de la part des instances internationales, ces communautés comme tant d’autres, vont continuer à subir ce cercle vicieux de violence et de traumatisme.
Il est inutile de fournir des tentes, des abris et des équipements s’ils sont confisqués ou démolis en seulement quelques semaines. Pendant ce temps, les communautés stressées et apeurées traversent encore et encore des périodes extrêmement difficiles. Le développement pérenne d’une population n’est possible que si les droits de l’homme et le droit international humanitaire ne sont pas constamment bafoués, comme l’illustre cruellement cette situation.
La communauté internationale doit prendre des mesures adéquates pour qu’Israël respecte ses obligations à l’international. Il lui faut exiger une restitution ou une compensation de la part du gouvernement d’Israël pour la démolition et la saisie des biens palestiniens financés par des bailleurs internationaux. Des mesures doivent être prises au niveau européen et national pour que ces communautés qui font face à des vagues de destruction et de violence sans fin, bénéficient d’une véritable protection. Qu’ils puissent rester chez eux, sur leurs terres, élever leurs enfants sans crainte et vivre en paix.
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