Plateforme des ONG Françaises pour la Palestine

Israël/Cisjordanie : Accorder l’égalité des droits aux Palestiniens

20 décembre 2019 - Rapport de Human Rights Watch

Après 52 ans d’occupation, la suspension de leurs droits est illégale et injustifiable



(Vidéo, sous-titres via cc) - Les Palestiniens en Cisjordanie sont toujours privés de la majorité de leurs droits civils, 52 ans après le début de l’occupation par Israël. Human Rights Watch appelle au respect des normes internationales, afin de permettre aux Palestiniens de bénéficier de droits fondamentaux.

(Jérusalem) –Le gouvernement d’Israël devrait accorder aux Palestiniens de Cisjordanie les mêmes droits que ceux des citoyens israéliens, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch, à l’occasion de la parution d’un rapport publié 52 ans après le début de l’occupation de ce territoire. Le droit international relatif aux situations d’occupation permet à une puissance occupante de restreindre l’exercice de certains droits civils des habitants durant la première phase de l’occupation, sur la base de justifications sécuritaires limitées, mais de telles restrictions généralisées sont injustifiées et illégales après cinq décennies d’occupation.

Le rapport de 92 pages, intitulé « Born Without Civil Rights : Israel’s Use of Draconian Military Orders to Repress Palestinians in the West Bank » (« Nés sans droits civils : Recours par Israël aux ordres militaires draconiens pour réprimer les Palestiniens en Cisjordanie »), analyse les ordres militaires israéliens qui criminalisent les activités politiques non-violentes, notamment le fait de manifester, la publication de documents « ayant une signification politique » et l’adhésion à des organisations considérées comme « hostiles » à Israël. Human Rights Watch a étudié plusieurs cas, démontrant qu’Israël s’appuie de manière injustifiée et généralisée sur de tels ordres pour emprisonner les Palestiniens ayant contesté l’occupation, milité ou pour leur affiliation à des organisations politiques ; interdire ces organisations et des organisations non gouvernementales ; et contraindre à la fermeture les médias.

« Les efforts déployés, depuis plus d’un demi-siècle, par Israël pour justifier la privation des droits civils fondamentaux des Palestiniens sur la base de son occupation militaire perpétuelle, ne tiennent plus debout », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Compte tenu du contrôle durable exercé par Israël sur les Palestiniens, cet État devrait à tout le moins garantir à ces derniers les mêmes droits que ceux accordés à ses citoyens, quelle que soit la configuration politique en vigueur. »

Human Rights Watch a mené 29 entretiens, principalement avec d’anciens détenus et leurs avocats, et examiné des chefs d’inculpation et des décisions rendues par des tribunaux militaires ainsi que huit cas représentatifs concernant des activistes, des journalistes et d’autres Palestiniens arrêtés en vertu d’ordres israéliens restrictifs au cours des cinq dernières années. Le rapport contient également des réponses significatives de l’armée et de la police israéliennes à ses conclusions.

Durant la période ayant précédé la publication du rapport de Human Rights Watch, le gouvernement israélien, plutôt que de répondre de manière substantielle à ce rapport, a mis en cause les compétences professionnelles d’un membre du personnel de Human Rights Watch.

Les autres gouvernements et organisations internationales concernés par les droits des Palestiniens devraient approuver un cadre de droits civils pour souligner l’impact des ordres militaires restrictifs imposés par Israël en Cisjordanie et faire pression sur cet Etat pour qu’il garantisse aux Palestiniens des droits civils et autres sur un pied d’égalité avec les citoyens israéliens, a déclaré Human Rights Watch. Celles-ci devraient compléter les protections prévues par le droit de l’occupation, telles que l’interdiction de construire des colonies de peuplement, qui restent en vigueur tant que persiste l’occupation.

Le droit international régissant l’occupation militaire impose à Israël, en tant que puissance occupante, de restaurer la « vie publique » de la population palestinienne occupée. Cette obligation s’accroît dans le cadre d’une occupation prolongée comme celle imposée par Israël, comme l’ont conclu le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et la Cour suprême israélienne, obligation reconnue par le gouvernement israélien lui-même. Au cours des décennies, les besoins de la population palestinienne se sont accrus, Israël n’ayant pas fait grand-chose pour mettre au point des solutions plus adaptées à la lutte contre les menaces sécuritaires mais qui minimisent les restrictions des droits des Palestiniens.

La suspension des droits pour une courte période peut perturber temporairement la vie publique, mais une suspension indéfinie à long terme paralyse la vie sociale, politique et intellectuelle d’une communauté. Plus l’occupation dure, plus le régime militaire doit ressembler à un système de gouvernement ordinaire qui respecte les normes du droit international des droits de l’homme, qui s’appliquent en toute circonstance. En cas d’occupation illimitée, comme celle d’Israël, les droits accordés à une population occupée devraient être au moins égaux à ceux dont bénéficient les citoyens de la puissance occupante.

Les règlementations datant de l’ère du mandat britannique, qui demeurent en vigueur en Cisjordanie, et les ordres militaires émis par Israël depuis l’annexion de la Cisjordanie en 1967, autorisent l’armée israélienne à priver les Palestiniens de la protection de leurs droits civils fondamentaux. Les règlementations, par exemple, permettent à Israël de déclarer illégales des organisations prônant « la haine ou le mépris, ou qui encouragent le mécontentement vis-à-vis » des autorités locales et de procéder à l’arrestation de Palestiniens pour affiliation à de telles organisations.

Les ordres militaires imposent des peines de prison pouvant aller jusqu’à 10 ans aux civils condamnés par des tribunaux militaires pour avoir influencé l’opinion publique d’une manière susceptible de « porter atteinte à la paix publique ou à l’ordre public ». Une peine de 10 ans peut également être prononcée contre les Palestiniens qui participent, sans autorisation militaire préalable, à un rassemblement de plus de 10 personnes sur tout sujet « qui pourrait être interprété comme politique » ou s’ils arborent des « drapeaux ou des symboles politiques ».

Ces restrictions généralisées s’appliquent aux 2,5 millions d’habitants palestiniens de Cisjordanie, à l’exclusion de Jérusalem-Est, mais pas aux plus de 400 000 colons israéliens du même territoire qui sont soumis au droit civil israélien. Cette loi, qui s’applique également à Jérusalem-Est – annexée par Israël, mais toujours occupée au regard du droit international – et à Israël, protège beaucoup plus vigoureusement les droits à la liberté d’expression et de réunion.

« Rien ne peut justifier la réalité actuelle dans laquelle, par endroits, les habitants d’un côté de la rue jouissent de leurs droits civils, tandis que ceux de l’autre côté ne bénéficient pas de ces droits », a résumé Sarah Leah Whitson.

Selon les données fournies à Human Rights Watch, entre le 1er juillet 2014 et le 30 juin 2019, l’armée israélienne a poursuivi 4 590 Palestiniens pour être entrés dans une « zone militaire fermée », désignation que l’armée israélienne applique souvent à un site servant à des manifestations, et a poursuivi 1 704 Palestiniens pour « adhésion et activité au sein d’une association illégale » et 358 pour « incitation ».

Par exemple, l’armée israélienne a arrêté Farid al-Atrash, âgé de 42 ans, qui travaille pour la Commission indépendante des droits de l’homme, un organe quasi-officiel de l’Autorité palestinienne, pour avoir participé à une manifestation pacifique à Hébron en février 2016, au cours de laquelle il avait appelé à la réouverture une artère majeure du centre-ville pour les Palestiniens. Les procureurs militaires ont cité des dispositions de la loi militaire interdisant les rassemblements politiques, évoquant ses « drapeaux de l’Autorité palestinienne » et le fait de brandir une pancarte « Open Shuhada Street ».

Ils l’ont également accusé d’être entré « dans une zone militaire fermée » et d’« agression d’un soldat », sans fournir de preuve de cette infraction. Les autorités l’ont remis en liberté au bout de cinq jours, mais continuent de le poursuivre en justice plus de trois ans après.

Les autorités israéliennes s’appuient également sur des ordres militaires pour interdire 411 organisations, y compris tous les principaux mouvements politiques palestiniens, et détenir des personnes qui leur sont affiliées. En passant en revue l’acte d’accusation contre Hafez Omar, artiste emprisonné depuis mars 2019, il apparaît que les allégations d’Israël contre une organisation interdite, al-Hirak al-Shababi, semblent se concentrer sur les manifestations que celle-ci a menées contre l’Autorité palestinienne. La loi militaire n’offre aucun recours contre de telles interdictions.

Les procureurs ont invoqué la définition vague du droit militaire israélien de l’incitation pour criminaliser un discours prônant la résistance à l’occupation, même lorsque celui-ci n’appelle pas à la violence. Ainsi, ce chef d’accusation a été utilisé pour justifier l’arrestation d’un militant âgé de 43 ans, Nariman Tamimi, en raison de la retransmission en direct, sur Facebook, d’une altercation entre sa fille Ahed, âgée de 16 ans, et des soldats israéliens dans la cour de sa maison, en décembre 2017.

« La loi militaire israélienne en vigueur depuis 52 ans interdit aux Palestiniens de Cisjordanie de jouir de libertés fondamentales telles que brandir des drapeaux, manifester pacifiquement contre l’occupation, adhérer à tous les grands mouvements politiques et rendre publics des documents politiques », a conclu Sarah Leah Whitson. « Ces ordres donnent carte blanche à l’armée pour poursuivre quiconque s’organise politiquement, prend la parole, ou même diffuse des informations susceptibles de déplaire à l’armée. »

Extraits de quelques ordres de l’armée israélienne

« Une personne qui organise une procession, une assemblée ou une veillée sans autorisation, demande ou incite leur tenue, […] ou y participe de quelque manière que ce soit… est passible d’une peine d’emprisonnement de dix ans ou d’une amende de dix mille livres, ou les deux. »

 Ordre militaire 101

« Il est interdit de tenir, de brandir, d’afficher ou d’apposer des drapeaux ou des symboles politiques, sauf autorisation préalable du commandant militaire. »

 Ordre militaire 101

« Il est interdit d’imprimer ou de publier dans la région le moindre avis, affiche, photo, brochure ou tout autre document contenant des informations ayant une portée politique, à moins d’avoir obtenu une autorisation préalable auprès du commandant militaire du lieu devant servir à l’impression ou à la publication. »

 Ordre militaire 101

« L’expression “associations illégales” désigne tout groupe de personnes [...] qui, de par sa formation ou sa propagande, préconisent, incitent à ou encouragent […] la haine, le mépris ou le mécontentement vis-à-vis [des autorités locales]. »

 Règlementations (d’urgence) de défense de 1945 (appliqué par l’armée israélienne)

« Une personne qui tente, oralement ou autrement, d’influencer l’opinion publique dans la zone de manière à perturber la paix publique ou l’ordre public, ou […] commet une action par laquelle il exprime son adhésion à une organisation hostile, à son action, ses objectifs ou sa solidarité avec elle, en arborant un drapeau, un symbole ou un slogan, en jouant un hymne national ou en prononçant un slogan, ou toute autre action explicite similaire exprimant clairement cette adhésion ou cette sympathie, le tout dans un lieu public ou de manière à ce que les personnes se trouvant dans un lieu public soient en mesure de voir ou d’entendre de telles expressions d’identification ou de solidarité, sera condamnée à une peine de dix ans d’emprisonnement. »

 Ordre militaire 1651


Sur le site de Human Rights Watch


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