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En Cisjordanie occupée, Israël trace de gigantesques routes qui paveront la voie à une annexion de facto

8 décembre 2020 - Par Clothilde Mraffko – SUD DE LA CISJORDANIE OCCUPÉE, Middle East Eye

Dans un nouveau rapport, l’ONG israélienne Breaking the Silence dévoile quelque 25 projets israéliens de routes en Cisjordanie occupée, destinées à servir et encourager la colonisation dans les prochaines années. Middle East Eye y a eu accès en avant-première



Depuis des mois, les bulldozers croquent la montagne, près de Bethléem. Le chantier est gigantesque, on y creuse tunnels et ponts, à toute vitesse. Le but ? Rajouter des voies pour transformer cet axe encombré matin et soir en une autoroute au trafic fluide.

Le bout de route n’est emprunté que par des colons israéliens qui font chaque jour le trajet depuis Goush Etzion, groupement de colonies situé dans le sud de Bethléem, en Cisjordanie occupée, jusqu’à Jérusalem, où ils travaillent.

Les Palestiniens, eux, n’ont pas accès à cette portion ; leurs voies passent de l’autre côté du murde séparation qu’Israël construit depuis 2002, à Bethléem. En tout, 37 km de tunnels, ponts et intersections devraient surgir de terre d’ici cinq ans.

« Les projets d’infrastructure d’Israël en Cisjordanie approfondissent la mainmise israélienne sur la terre, fragmentent le territoire palestinien et constituent un obstacle important à toute solution incluant la paix et l’égalité dans le futur » - Breaking the Silence & The Israeli Centre for Public Affairs

L’agrandissement de cette « route des tunnels » fait partie d’un projet plus grand que dévoile ce lundi Yehuda Shaul, cofondateur et ancien membre de l’ONG israélienne Breaking the Silence, dans un nouveau rapport co-écrit avec la nouvelle organisation qu’il a fondée, The Israeli Centre for Public Affairs.

Selon lui, alors que le monde avait les yeux braqués sur les rumeurs d’une annexion israélienne d’une partie de la Cisjordanie cet été, Israël avançait depuis des années une annexion de facto, c’est-à-dire en imposant une série de faits accomplis sur le terrain, difficiles à annuler.

« L’objectif est d’avoir un million de colons israéliens d’ici dix à vingt ans », explique-t-il à Middle East Eye, dépliant soigneusement une carte devant lui. Aujourd’hui, plus de 600 000 Israéliens vivent à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, en totale violation du droit international, et leur présence compromet sérieusement l’établissement d’un État palestinien indépendant et viable.

Tout en encourageant la colonisation, Israël tente désormais de persuader les colons israéliens de s’installer toujours plus profondément en Cisjordanie occupée. En étendant la présence israélienne, les dirigeants sionistes espèrent rendre tout transfert de population impossible et liquider ainsi définitivement la solution à deux États.

Mais pour cela, il faut des routes. Pour l’instant, la majorité des colons continuent de travailler en Israël, de l’autre côté de la ligne verte (le tracé d’armistice de 1949 entre Israël et les pays arabes), où se trouvent les principaux bassins d’emplois. Ils font la navette, chaque jour, sur des axes routiers devenus trop petits pour absorber la croissance des colonies et de la population palestinienne.

Galvanisés par Trump

« La dernière fois qu’il y a eu un plan complet de développement en Cisjordanie, c’était en 1991. Ensuite, il y a eu les accords d’Oslo », commente Yehuda Shaul, qui sillonne inlassablement les routes des territoires palestiniens pour jauger l’avancement de ce « grand projet ».

Il recense dans le rapport publié ce lundi quelque 25 chantiers en cours ou envisagés pour étendre les réseaux routiers en Cisjordanie occupée et mieux connecter les colonies à Israël.

« Les projets d’infrastructure d’Israël en Cisjordanie approfondissent la mainmise israélienne sur la terre, fragmentent le territoire palestinien et constituent un obstacle important à toute solution incluant la paix et l’égalité dans le futur », conclut le rapport.

« Après la mise en œuvre de ces 25 projets, à part à Hébron [où les colons vivent à l’intérieur de la ville], aucun colon n’aura à conduire dans des zones où vivent les Palestiniens » - Yehuda Shaul, president de l’Israeli Centre for Public Affairs

Ces dernières années, les élus des conseils de colons en Cisjordanie ont mis la pression, allant jusqu’à déclencher une symbolique grève de la faim en 2017 pour obtenir plus de financements. Les premiers projets ont été mis sur la table en 2014, mais la présidence Trump a clairement galvanisé les ambitions israéliennes.

« Un grand projet, c’est une vision, cela ne veut pas dire qu’il va réellement voir le jour, notamment pour des questions de budget », tempère l’activiste de Breaking the Silence.

L’agrandissement de la route des tunnels vers Bethléem, notamment, devrait coûter quelque 850 millions de shekels – environ 214 millions d’euros. Tout autour de Jérusalem, l’élargissement des axes menant aux grandes colonies ou la construction de nouvelles routes devraient au total coûter quelque cinq milliards de shekels – 1,26 milliard d’euros.

Ces travaux servent avant tout les intérêts des colons israéliens et renforcent la ségrégation à l’œuvre en Cisjordanie. Parfois, par effet de ricochet, ces routes bénéficieront aussi aux Palestiniens – qui n’ont pas la main sur les grands chantiers israéliens – en désengorgeant certains axes.

La plupart des projets étudiés par Breaking the Silence concernent les « routes de contournement ». Ces axes, développés depuis le milieu des années 90, permettent aux colons de se déplacer entre colonies ou vers Israël sans passer par des villes ou villages palestiniens.

Israël entend désormais investir pour transformer la plupart de ces routes en autoroutes, voire construire de nouvelles portions.

« Après la mise en œuvre de ces 25 projets, à part à Hébron [où les colons vivent à l’intérieur de la ville], aucun colon n’aura à conduire dans des zones où vivent les Palestiniens », explique Yehuda Shaul.

En tout, deux axes seront construits pour les Palestiniens. L’idée est de leur permettre de contourner la colonie de Maale Adumim, située à 7 km à l’est de Jérusalem, afin de réserver une route pour les colons israéliens qui relierait la colonie à la ville sainte sans check-point, comme si elle faisait partie de la banlieue naturelle de Jérusalem.

« Si vous voulez amener un autre demi-million d’habitants en Judée et Samarie [Cisjordanie occupée], vous devez être sûrs qu’il y a des routes » - Bezalel Smotrich, ancien ministre des Transport

Bien évidemment, les Palestiniens, qui ne sont pas autorisés à rentrer à Jérusalem, ne pourront pas emprunter cet axe. En janvier 2019, une portion a déjà été ouverte, surnommée la « route de l’apartheid », avec d’un côté les voies réservées aux Palestiniens et, de l’autre, celles pour ceux qui disposent d’une voiture avec une plaque israélienne, les deux étant séparées par un haut mur surmonté d’une barrière.

« La preuve que ces projets servent un développement israélien, c’est qu’ils suivent des axes est/ouest, depuis la Cisjordanie vers les bassins d’emplois en Israël. Le développement naturel palestinien se fait quant à lui à travers les collines, du nord au sud », commente le coauteur du rapport.

L’agrandissement des routes s’accompagne aussi de l’« expropriation d’une quantité considérable de terrains. Vous voyez ces signes-là ? Ce sont les lignes d’expropriation », pointe-t-il, au bord d’une route qui file vers Hébron, dans le sud de la Cisjordanie.

De chaque côté, des petits bâtons noirs, enfoncés profondément dans les terres, grignotent de larges portions de champs.

« Il n’est pas permis de construire aux abords des autoroutes », poursuit Yehuda Shaul.

Ces axes vont aussi contraindre le développement des enclaves palestiniennes. Ainsi, l’agrandissement de la route des tunnels va entraver toute possibilité d’expansion de Bethléem vers le nord. Elle change aussi le rapport entre les villes et villages palestiniens, coupés les uns des autres par de grands axes routiers qui ne servent pas leurs intérêts et les obligent à des détours.

En 2019, dans une interview au journal israélien Israel Hayom, l’ancien ministre des Transport Bezalel Smotrich, du parti d’extrême droite Yamina, annonçait franchement : « Si vous voulez amener un autre demi-million d’habitants en Judée et Samarie [nom biblique qu’utilisent les Israéliens pour éviter de dire Cisjordanie], vous devez être sûrs qu’il y a des routes. Les colonies suivent les routes et les transports publics. »

Avec ces 25 projets, Israël accélère sa politique d’annexion de facto, dénoncent les auteurs du rapport, contribuant « à installer encore davantage la réalité d’un seul État avec inégalité de droits » – au mépris du droit international.


Sur le site de Middle East Eye

Visuel : Une route encerclée de murs en Cisjordanie occupée, crédit SCCF




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