Paris, le 2 juin 2020
Objet : L’annonce d’annexion israélienne d’une partie de la Cisjordanie occupée
Monsieur le Ministre,
Nos associations sont extrêmement préoccupées par les projets d’annexion du nouveau gouvernement israélien annoncés le 22 avril 2020. Le Premier ministre Benyamin Netanyahou a répété à plusieurs reprises son intention ferme d’annexer la vallée du Jourdain et les colonies israéliennes.
Nous saluons votre déclaration du 19 mai 2020 qui « appelle les autorités israéliennes à s’abstenir de toute mesure unilatérale qui conduirait à l’annexion de tout ou partie des Territoires palestiniens » et rappelle qu’une telle décision « ne pourrait être sans conséquence sur les relations de l’Union européenne avec Israël ». Cette déclaration doit maintenant être suivie d’actes concrets sans attendre.
L’annexion unilatérale est illégale en droit international et la France et l’UE ont l’obligation de ne pas reconnaître une telle annexion ni contribuer à la poursuite de ce fait illégal (1).
Comme vous le rappelez, l’annexion représente également « une grave remise en cause de la solution des deux Etats » prônée par la France et l’Union européenne.
En outre, elle accentuera les violations du droit international et des droits humains déjà en cours. L’annexion sera le feu vert pour une accélération de la colonisation israélienne, pour de nouvelles restrictions à la circulation des biens et des personnes, un enclavement des communautés palestiniennes et une oppression accrus. En somme, l’annexion formelle ancrerait davantage une situation d’apartheid qui s’observe de plus en plus sur le terrain. C’est la dynamique qui a été observée depuis l’annexion de Jérusalem-Est par Israël en 1980. La communauté internationale a laissé passer cette annexion en toute impunité, malgré des résolutions au Conseil de sécurité de l’ONU. Elle ne doit pas répéter cette erreur.
Enfin, il est nécessaire d’agir dès maintenant, que l’annexion de jure ait lieu ou non, dans la mesure où une annexion de facto est déjà mise en œuvre par les autorités israéliennes depuis plusieurs années. C’est ce qu’ont relevé des organisations palestiniennes (2), israéliennes (3) ou encore des ONG humanitaires internationales (4). Depuis l’élection de Donald Trump en particulier, on assiste à l’accélération de la construction de routes et infrastructures pour renforcer le maillage des colonies israéliennes, l’accaparement de terres aux environs des colonies, via la création de « zones militaires fermées » ou « zones de coordination », et surtout l’incorporation progressive du droit israélien au droit du territoire occupé. Cette annexion de facto est tout aussi illégale qu’une annexion formelle.
La responsabilité de la France et de l’Europe est historique dans le tournant que pourrait marquer l’annexion formelle de la quasi-totalité de la Cisjordanie. Nous appelons donc la France, conformément à ses obligations internationales, à :
1) Prendre des mesures immédiates en réaction à l’annonce d’annexion, telles que :
– Rappeler son ambassadeur d’Israël pour consultations et convoquer l’ambassadrice israélienne en France ;
– Annoncer publiquement qu’elle envisage des sanctions en cas d’annexion formelle ;
– Reconnaître l’Etat de Palestine.
2) Conformément à son obligation de ne pas reconnaître une annexion illégale et de ne pas contribuer à la poursuite de l’occupation, de la colonisation et de l’annexion :
– Exclure tous produits et services provenant des colonies israéliennes du marché français ;
– Dissuader plus activement les entrepreneurs et les entreprises françaises et européennes d’avoir des relations commerciales avec les colonies et d’y investir ;
– Exclure du champ d’application de tout traité bilatéral passé avec Israël les territoires occupés/annexés.
3) Saisir cette annonce comme une opportunité pour prendre des mesures restrictives face aux violations continues des droits de l’Homme et du droit international humanitaire par les autorités israéliennes. La France doit envisager la prise de sanctions similaires à celles prise par l’UE contre la Russie suite à l’annexion de la Crimée et agir de manière bilatérale si un compromis européen ne peut être trouvé sur ce point.
4) Soutenir les mécanismes internationaux de protection des droits de l’Homme pour lutter contre l’impunité, tels que l’ouverture d’une enquête par la Cour pénale internationale sur la situation en Palestine.
La Plateforme des ONG françaises pour la Palestine propose un ensemble de recommandations plus en détails dans la note de positionnement qui vous est adressée en annexe de ce courrier.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’assurance de notre haute considération.
M. François Leroux, Président de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine
(1) Obligations issues des articles 1 communs aux Convention de Genève et du droit coutumier international réaffirmé par l’avis de la Cour Internationale de Justice du 9 juillet 2004.
(2) Voir Al-Haq, The Silent Annexation of the Jordan Valley, 11 juin 2011 ; Al-Haq, Recent bills : Israel seeks to expand the scope of the death penalty for Palestinians and to illegally annex West Bank settlements, 16 janvier 2018.
(3) Voir Yesh Din, From occupation to annexation, 2016 ; Peace Now, Escalation in Israel’s Settlement Policy : The Creation of de-facto Annexation, 2017.
(4) Voir notamment la lettre ouverte de 16 ONG au président de la République du 17 septembre 2019, https://plateforme-palestine.org/Pa...
Ce courrier a également été envoyé au Président de la République. Voir sa réponse ici.
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